La chute du dernier Fronton tombait justement sur la chute des éléments de façade – quand ce n'est pas de tout le reste – des édifices du vieux bâti, tous ces immeubles, notamment dans les grandes ou petites artères de nos villes qui remontent à la période coloniale. Il y a là un véritable patrimoine architectural que tous les spécialistes reconnaissent comme exceptionnel et qui figure dans de nombreux traités d'architecture. A Alger, Oran, Constantine, Béjaïa, quasiment partout, on retrouve ce mélange, sans pareil au monde, de styles : classique, haussmanien, mussolinien, Art Déco, néo-mauresque, architectures nouvelles à la Claro, Le Corbusier, Simounet et autres grands noms du Mouvement moderne, œuvres de Pouillon comme la Cité des Cent colonnes ou celle de Diar El Mahçoul, etc. Ces styles peuvent se mêler dans la même rue et parfois la même construction ! Nos villes sont de véritables dictionnaires d'architecture que l'on nous envie de partout mais que nous laissons se déchirer. Longtemps a prévalu, comme par un rejet faussement honteux, l'idée que tout cela ne nous appartient pas et qu'il s'agit après tout des vestiges d'une présence étrangère imposée. On avait oublié au passage que c'était nos aïeux, main d'œuvre corvéable à merci, qui les avaient construits. On avait négligé que la plupart des architectes, venus d'horizons divers, n'étaient pas, pour la plupart d'entre eux, des partisans du colonialisme, certains même le rejetant, et qu'ils étaient venus ici d'abord parce qu'ils pouvaient échapper un peu au conservatisme métropolitain. Ce n'est pas pour rien qu'Alger fut longtemps qualifiée de «laboratoire de l'architecture moderne». Nombre d'innovations y ont connu des premières mondiales (immeuble-pont, couloirs en balcons, pare-soleils…). Les mentalités ont évolué. On peut le constater dans plusieurs villes où l'on commence à s'intéresser aux cadres bâtis anciens. Par exemple, la restauration des immeubles de la rue Ben M'hidi, à l'initiative de l'APC d'Alger-Centre, donne déjà quelques résultats. Il reste cependant à mettre en place une démarche nationale en la matière. Il reste à inventorier ces bâtisses et classer celles qui le méritent au patrimoine historique, classer des rues entières mêmes, dans la mesure où elles sont emblématiques d'une ville. Tenez, essayez un instant d'imaginer Alger sans le boulevard front de mer et son assise de voûtes démarrant au niveau du port ! Ces jours-ci, des photographes algériens et européens, soutenus par l'Union européenne et l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel prennent des vues du patrimoine architectural d'Alger. Cela devrait se généraliser en espérant que ces photos ne seront pas l'ultime témoignage de richesses disparues. Si on devait ajouter là-dessus La Casbah et les autres cœurs des anciennes cités, on se rend compte que les choses ont tant tardé que cela donne le vertige !