Réclamant en chœur et en solo, dans les colonnes et sur les ondes, la révision de la Constitution et l'instauration d'un régime parlementaire en lieu et place du système politique actuel, le pouvoir et une partie de l'opposition tentent d'occuper, à leur façon, la scène médiatique et de se recycler dans le nouveau paysage politique, une manière comme une autre de se concilier l'opinion après avoir rameuté les foules pendant toute la période de la campagne électorale précédant l'élection présidentielle du 17 avril. La déloyauté d'une telle démarche réside dans le procès injuste fait à la loi fondamentale par ceux-là mêmes qui sont les auteurs directs ou indirects des violations qui minent présentement l'ordre constitutionnel de notre pays. Le procès permanent de la constitution La Constitution actuelle est pratiquement le fac-similé de la Constitution française de 1958, qui institua un régime fondé sur la souveraineté du peuple, l'organisation séparée des pouvoirs et l'indépendance de l'autorité judiciaire. Exception faite du préambule qui reprend les thèmes habituels de la glorification de la révolution, de la justice sociale et de la liberté et du titre premier qui traite des principes généraux régissant la société algérienne, les constituants de 1989 et 1996 reproduisirent jusqu'à la caricature l'ensemble du dispositif français. Mais, comble de l'ironie ou ironie du sort, tout cet arsenal de dispositions qui permit à la France d'instaurer la démocratie, de se doter d'institutions stables, de sortir définitivement du bourbier algérien et d'opérer son redressement salutaire, ne fut d'aucun apport pour notre pays. Bien au contraire, il dégénéra vite en monarchie républicaine caractérisée par un pouvoir hyper présidentiel, un effacement quasi total du Parlement et une indépendance judiciaire équivoque, trois maux marqués au fer rouge et qui sont moins le fait de la Constitution que celui du comportement des hiérarchies. - L'hyper pouvoir présidentiel Le président de la République incarne l'Etat et la nation, en raison des prérogatives constitutionnelles qui lui donnent la primauté sur les autres organes. Elu au suffrage direct, il est moins le représentant de la fraction du peuple qui l'a majoritairement investi, que celui de la nation toute entière qui lui donne mandat pour exercer, en son lieu et place, l'autorité suprême de l'Etat. Cette conception de la nation incarnée qui confie pratiquement son destin à un organe élu, ne porte en rien préjudice au principe de la séparation des pouvoirs, car, confiné dans son domaine réservé, le Président n'intervient que pour assurer le fonctionnement régulier des institutions, tandis que le gouvernement et le Parlement s'attellent, parallèlement et chacun en ce qui le concerne, à l'exercice de leurs fonctions exécutive et législative. Ce schéma classique, où le Président préside, le gouvernement gouverne et le Parlement légifère, tourna court dès l'origine, car à défaut de contribuer à l'édification d'un Etat démocratique, il dégénéra aussitôt en une monarchie républicaine. Le chef de l'Etat ne se contente pas, comme l'oblige la Constitution, de déterminer la politique de l'Etat et de laisser le soin au gouvernement, émanant de la majorité parlementaire, de la mettre en application, mais s'empare d'autorité de l'Exécutif, en transformant le Premier ministre et le gouvernement en simples outils, dont il choisit majoritairement les membres hors Parlement. Mépris ou méprise pour la représentation nationale. L'explication ne coule pas toujours de source, elle peut trouver origine aussi bien dans l'inexistence de capacités individuelles au Parlement que dans une lecture erronée de la Constitution. Aussi grands sont les rois, ils sont ce que nous sommes. lls se trompent comme nous et ils sont des hommes ! - L'effacement du Parlement Une Constitution, aussi pluraliste soit-elle, ne peut changer la nature des choses sans changer la nature des hommes. Les choses étant ce qu'elles sont, la majorité des membres du Parlement, élevée dans le moule rédhibitoire du parti unique, n'ont d'autre légitimité que celle que leur confère l'onction du système. Aussitôt élus, ils se démettent vite de leurs attributions pour se muter, comme aux temps glorieux du parti unique, en chambre d'enregistrement, rarement disposés à exercer leur fonction législative et de contrôle de l'action du gouvernement. Pour cause, la fonction législative, qui consiste dans l'élaboration et du vote de la loi, passe le plus souvent sous les fourches caudines du pouvoir exécutif, de sorte que les textes votés sont le plus souvent des projets de loi concoctés par le gouvernement. En plus de quinze ans, jamais la composante humaine du Parlement ne s'était risquée à initier la moindre proposition de loi, malgré une compétence d'attribution très large, brassant les principaux domaines de la vie économique, sociale et culturelle. L'article 123 de la Constitution lui taille pourtant tout un domaine réservé comprenant des matières importantes aussi variées que les droits et libertés individuelles, l'organisation des principaux secteurs de l'Etat, tels le système judiciaire, la propriété, la monnaie, le découpage territorial, le budget de l'Etat, les régimes douanier et bancaire, les assurances et la liste est loin d'être exhaustive. Sur un autre plan, la fonction de contrôle de l'action du gouvernement est rarement exercée, malgré l'existence d'un large éventail de mécanismes de mise en responsabilité, allant du dépôt d'une motion de censure, de l'interpellation du gouvernement, à la constitution d'une commission de contrôle. Les raisons de cette inertie pourraient s'expliquer à la fois par la solidarité indéfectible de la majorité parlementaire avec l'Exécutif et, aussi, par une sorte de crainte révérencielle propre à toute assemblée élue de ne rien faire, de ne rien tenter qui puisse mécontenter l'Exécutif et l'exposer en retour a une dissolution-rétorsion. Pour le reste, la fonction parlementaire se complaît le plus souvent dans des missions strictement protocolaires. Les présidents des deux Chambres, en particulier, disposent d'un statut spécifique, les faisant figurer parmi les hauts personnages de l'Etat et leur concours est souvent requis dans les situations de crise pour décider de mesures exceptionnelles. Autrement dit et dans tous les autres cas, leur rôle consiste le plus souvent à expédier les affaires courantes, ouvrir les séances des assemblées, diriger les débats et disparaître dans les décors. Compte tenu de toutes ces considérations et d'autres, peut-on raisonnablement couvrir la Constitution actuelle d'opprobre et l'accuser de toutes les infamies, lorsque l'indifférence se conjugue à la démission et habitent ensemble l'individualité des hommes. Et ce n'est certainement pas avec un tel bilan que des élus ou opposants professionnels se présentent à la ville et aux champs pour revendiquer un régime parlementaire. - Une justice esseulée Le procès fait quotidiennement à la Constitution à propos de l'indépendance judiciaire est des plus injustes, parce que la place centrale dévolue à la justice dans l'organisation des pouvoirs publics rivalise avantageusement avec celle des pays européens les plus démocratiques. Elevée au rang de pouvoir et fondée sur les principes de légalité et d'égalité, elle est déclarée ne s'exprimer que par le respect du droit des juges, n'obéissant qu'à la loi et son indépendance, mise en œuvre par la loi portant statut des magistrats et la loi portant conseil supérieur de la magistrature. La première détermine les garanties dues au magistrat en raison de la spécificité de sa fonction, la seconde définit les attributions du CSM en matière de suivi de la carrière et de protection des magistrats contre l'absolutisme de la hiérarchie. Or si cette indépendance de la justice est suspectée et demeure encore à l'ordre du jour, la cause ne doit pas être recherchée dans l'insuffisance de la Constitution, mais dans la vénalité des instruments mis place par le pouvoir qui n'ont contribué ni à la protection du juge ni à la mutation de l'institution. Elle est à rechercher ensuite dans un environnement défavorable portant la marque d'un pouvoir administratif tentaculaire, tolérant difficilement la coexistence d'une institution dépositaire unique et exclusive du monopole de l'interprétation et de l'application de la loi. Elle est à rechercher enfin dans la faillite d'une société en rupture, qui mise sur le pouvoir régulateur de la justice pour normaliser les relations communautaires, familiales et individuelles de ses membres et dans la tendance quasi maladive des pouvoirs publics à faire peser sur le juge des tâches nouvelles, écrasantes, sans se demander s'il est en mesure de les accomplir. Cela dit toutes ces causes confondues ne disculpent aucunement la gueuse de son inaptitude à faire siennes les préoccupations légitimes du justiciable et le droit imprescriptible du citoyen à être bien jugé. L'instauration d'un régime parlementaire La propagande partisane en Algérie associe confusément le système algérien au système présidentiel, en raison des prérogatives constitutionnelles qui sont attribuées au chef de l'Etat et qui lui donnent la haute primauté sur les autres organes. Partant de là, s'expliquent aisément les demandes récurrentes de certains pans de l'opposition, d'instaurer un système parlementaire qui ne sont pas dictées par les mérites du système qu'ils estiment faussement présidentiel. Cette réclamation dictée essentiellement par la prééminence présidentielle n'est ni laborieuse ni réaliste, car le système algérien, tel qu'il résulte de la Constitution actuelle, ne s'identifie ni au régime présidentiel ni au régime parlementaire, mais plutôt à un régime mixte comportant des éléments parlementaires et présidentiels. Il peut arborer le manteau du système présidentiel, quand le Président dispose d'une majorité solidaire au Parlement et revêt les oripeaux d'un régime parlementaire lorsque cette même majorité viendrait à faire défaut. Auquel cas, il doit se résigner soit à la cohabitation avec un gouvernement de l'opposition ou prendre carrément la poudre d'escampette. - Les conditions d'instauration du système parlementaire Pour récapituler et sans s'attarder outre mesure sur la définition du système présidentiel qui n'a son pareil qu'aux Etats-Unis où la séparation stricte des pouvoirs exécutif et législatif est largement compensée par une collaboration étroite entre le Président et le Congrès, l'institution d'un régime parlementaire en Algérie exige, à notre sens, la réunion de deux conditions impératives : une majorité parlementaire stable et un système électoral cohérent tendant au rassemblement des familles politiques. Deux conditions que la législation algérienne a singulièrement ignorées. La première fait actuellement défaut, car le droit reconnu par la Constitution à tout citoyen ou groupe de créer une association politique a débouché sur une poussière de partis nominaux, surgissant la veille et disparaissant le lendemain. De fait, le pluralisme politique institué n'a ni fait progresser la démocratie ni boosté la participation des populations, mais a conduit droit à l'absentéisme électoral et au désintéressement général. La seconde condition n'est pas non plus remplie, car le mode de scrutin actuel ne favorise pas le regroupement des partis permettant au leader du parti vainqueur de gouverner en s'appuyant sur une majorité cohérente au Parlement. Il n'y a pas en Algérie une culture et des traditions, comme en Grande-Bretagne où le système majoritaire oblige les électeurs à porter utilement leur voix sur l'un des deux partis antagonistes, que sont le Parti travailliste et le Parti conservateur où la discipline prussienne comme en Allemagne où les Sociaux-démocrates et les Chrétiens-démocrates gouvernent tour à tour en formant au besoin des coalitions avec le parti libéral. Ce jeu de bascule a produit des résultats sur la durée et a déteint même sur le système français actuel où l'adoption du scrutin majoritaire à deux tours a permis l'émergence de majorités parlementaires stables, qui, couplées avec la désignation du Président au suffrage universel, a abouti progressivement à une bipolarisation politique, si bien qu'il est impossible pour des formations de moindre importance d'exercer un quelconque rôle en dehors des deux grandes coalitions de droite et de gauche, qui structurent la scène politique largement dominée par les Gaullistes de l' UMP et les divers gauches emmenés par le PS. - L'instauration du système parlementaire en Algérie En l'absence de traditions historiques et de culture politique conséquente, l'adoption du système parlementaire en Algérie conduira inévitablement à l'émiettement de sa représentation nationale, qui contraindra le leader du parti arrivé en tête, au lendemain de chaque élection, à s'épuiser en conciliabules avec les partis microscopiques pour former un gouvernement et quand il y arrivera à coups de marchandages et de tractations, il gouvernera le temps d'un soir, avant d'affronter le flot ininterrompu des défections et des retournements d'alliance avec en prime tous les déséquilibres, les formations de clans, les tiraillements et les déperditions d'énergie susceptibles d' enfoncer le pays dans le chaos. Et c'est pour ces motifs que certains de nos politiques seraient bien inspirés de faire l'économie de telles idées noires, qui réduisent actuellement en lambeaux certains pays du Maghreb, du Cham et de Mésopotamie par le jeu des majorités variantes et changeantes. La fin des fins est que la vertu du système induit par l'actuelle Constitution réside dans le fait qu'il prend en compte les critères de l'efficacité. Le Président dispose de moyens pour assurer le fonctionnement des institutions et la continuité de l'Etat grâce aux instruments, notamment les pouvoirs exceptionnels que lui fournit la Constitution en cas de situation de crise. Conclusion Toute Constitution a besoin d'être modifiée pour répondre aux exigences suscitées par la marche inexorable du temps. Seulement, une trop forte propension au changement risque, par les temps qui courent, d'aboutir à la remise en cause des valeurs qui régissent la société et des principes qui fondent la République. Et c'est pour ce motif justement, que la convocation d'une conférence nationale pour établir une Constitution consensuelle est inutile et risque de faire ressurgir les travers du fanatisme, du régionalisme et du corporatisme. Il est à parier qu'elle éclaterait aussitôt que les rhétoriques habituelles se mettraient de la partie pour aborder les questions sensibles de société, de langue et de religion, qui, souvent, empruntent des logiques d'affrontement et qui, à force d'être rabâchées, rassasiées ont fini par être banalisées.