Le chef d'état-major de l'ANP et vice-ministre de la Défense, le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, remet sur le tapis le dossier de mise à la retraite de 74 officiers supérieurs. Dès la validation du 4e mandat, il a réuni le Haut Conseil de la fonction militaire, adopté la liste des partants et n'attend que la signature du Président pour la rendre effective avant le 1er juillet prochain. A peine le 4e mandat validé, le chef d'état-major de l'ANP et vice-ministre de la Défense convoque une réunion extraordinaire du Haut Conseil de la fonction militaire (HCFM), qu'il préside, pour examiner, la liste des militaires à mettre à la retraite avant le mois de Ramadhan, c'est-à-dire au plus tard le 27 de ce mois. Créé par ordonnance présidentielle en 2006, ce conseil regroupe le secrétaire général du ministère de la Défense, les chefs des forces aériennes, marines, terrestres, de la défense du territoire, de la Gendarmerie nationale, de la Garde républicaine, des six commandants des régions militaires et du 1er responsable du DRS, en l'occurrence le général Toufik. A l'ordre du jour, une liste de 74 partants, au lieu de 80, comme cela était prévu lors de la réunion extraordinaire de cette même structure, le 14 janvier dernier, au cours de laquelle quatre officiers supérieurs du DRS, le général-major M'henna Djebbar, le général Chafik (chargé des enquêtes économiques), le général Hassen (chargé de la lutte antiterroriste) ainsi que colonel Fawzi, ont été mis à la retraite, en vertu de l'ordonnance présidentielle 06/02 du 28 février 2006 portant statut général du personnel militaire, notamment l'article 20, qui définit la limite d'âge et de durée de service pour les départs à la retraite. Pour tous, ces décisions n'avaient pour but que d'affaiblir le patron du DRS, en le privant de ses plus proches collaborateurs, mais aussi de sanctionner le service qui a ouvert les grandes enquêtes de corruption ayant éclaboussé le clan présidentiel. Durant cette réunion, le cas du général Bachir Tartag, qui avait été nommé à la tête de la puissante DSI (Direction de la sécurité intérieur) a été démis de ses fonctions (léguées au général Ali Bendaoud) pour être nommé conseiller de Gaïd Salah. En fait, cette mise à la retraite de dizaines d'officiers, notamment du DRS, à la veille de l'élection présidentielle, et après les virulentes attaques de Amar Saadani, secrétaire général du FLN contre les services secrets sans qu'il y ait une quelconque mise au point du vice-ministre de la Défense, avaient provoqué un séisme au sein de l'institution militaire, poussant Gaïd Salah à faire marche arrière… en attendant le 14 avril. Mais pour le chef d'état-major ce n'était que partie remise. A peine le 4e mandat validé, il revient à la charge pour mettre fin à la carrière de 74 officiers supérieurs, dont des généraux-majors, des généraux, des colonels et des commandants dont plusieurs sont issus du DRS. Il y a quelques jours, il a convoqué une réunion extraordinaire du Haut Conseil de la fonction militaire, au cours de laquelle la liste des partants est passée comme une lettre à la poste. Elle n'attend que la signature du Président pour être mise en application dès le 27 juin prochain, avant le mois de Ramadhan. Des sources bien informées expliquent que ces mesures «auraient pu être considérées comme étant tout à fait ordinaires si le fameux article 20 du statut de la fonction militaire était équitablement appliqué à tous». Pour elles, «ces départs à la retraite sont exécutés par des responsables qui ont eux-mêmes largement dépassé l'âge de la retraite. La majorité des chefs des régions militaires et des forces armés devraient être chez eux il y a bien longtemps. Pourquoi n'ont-ils pas été concernés par l'application de l'article 20 ? Est-il normal que des officiers âgés à peine de 50 ans partent à la retraite ?» La réponse, disent nos interlocuteurs, est connue de tous. «Nous sommes en plein scénario de 2004, lorsqu'une partie de l'armée, représentée par le chef d'état-major de l'ANP, feu général-major de corps d'armée, Mohamed Lamari, avait refusé de cautionner le deuxième mandat de Bouteflika, appuyé par le général Toufik. Mais les défunts Smaïl Lamari et Larbi Belkheir étaient alors de fervents défenseurs de Bouteflika et ont fini par rallier à eux le général Toufik, qui va sacrifier ainsi le chef d'état-major ainsi qu'une liste d'officiers supérieurs, officiers et sous-officiers, tous partis à la retraite dès 2006, et une autre vague en 2008, dans des conditions très suspectes. Personne n'avait cru un jour voir Gaïd Salah chef d'état-major alors qu'il était déjà, en 2004, pressenti au départ à la retraite. Entre lui et le Président, la relation se renforce et sa nomination d'abord en tant que chef d'état-major, puis en tant que vice-ministre de la Défense lui garantit ainsi l'immunité contre toute décision de mise à la retraite. Son cas est inédit. Il cumule deux postes aux intérêts contradictoires. Il est juge et partie en même temps et détient des pouvoirs exorbitants. Il n'a de compte à rendre qu'au Président, pour ne pas dire au frère du Président. Il exécute à la lettre la mise sous ses ordres des services, autrefois sous la coupe du DRS, pour isoler le chef ou le pousser à partir et organise la chasse aux officiers gênants au moment où l'institution a le plus besoin d'eux en raison de la situation à nos frontières», révèlent nos interlocuteurs. Ils qualifient ces mesures de «règlement de comptes qui risquent d'accentuer le sentiment de frustration dans les rangs et pourraient susciter une démobilisation, dont l'institution n'a surtout pas besoin en ces temps de crise…».