Smaïl Saïdani, ancien député et membre de la commission ayant élaboré la Constitution de 1996, estime que la meilleure des constitutions est celle qui organise et assure une limitation de la prépondérance que chacun des pouvoirs — exécutif, législatif et judiciaire — est susceptible d'exercer l'un vis-à-vis de l'autre. Gérer, c'est d'abord prévoir, a-t-il déclaré. « Si l'on s'en tient aux formes modernes d'exercice du pouvoir, gouverner — exécutif —, c'est d'abord légiférer — Parlement — sous le contrôle direct du juge — pouvoir judiciaire — à travers le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel. » Néanmoins, a-t-il affirmé, cette révision, qualifiée de cheval de bataille de Belkhadem, secrétaire général du FLN, Premier ministre, et de Saâdani, président de l'APN, vise en fait à définir les règles d'un régime politique aux contours clairs. L'actuel n'étant ni parlementaire ni présidentiel, disent ses détracteurs. L'ancien député a rappelé que les attaques contre l'actuelle Constitution avaient commencé dès l'arrivée de Bouteflika au pouvoir en avril 1999. « Tout le monde se rappelle ses attaques au vitriol contre la Constitution et les rédacteurs de celle-ci. Il l'avait jugée ‘ambiguë''. Bouteflika n'admettra jamais que son programme gouvernemental soit soumis au contrôle et à la censure du Parlement. Selon les premiers échos, le principe retenu, c'est asseoir un pouvoir sans partage, jouer les prolongations au-delà de 2009 en abrogeant les dispositions de l'article 74. » Répondant aux journalistes, « l'avocat Belkhadem disait ceci : si le peuple veut voter pour Bouteflika, pourquoi l'en empêcher ? » De son côté, a-t-il ajouté, le constitutionnaliste proposera à son tuteur une immunité à vie. Parmi les amendements soumis au référendum, le plus dangereux, a expliqué M. Saïdani, est « celui qui viserait à créer un poste de vice-Président non élu. Ainsi, l'actuel Président fera durer son mandat au-delà de 2009 ; il briguera un troisième de sept ans, avant de passer la main à un homme de confiance ». L'heureux élu « ne serait autre que Belkhadem », qui jouit de la confiance du Président. Interrogé sur ce qui a de mauvais dans l'actuelle Constitution, l'ancien député a répondu : « Calquée sur le système français, la Constitution de 1996 n'a en fait survécu qu'entre décembre 1996 et juin 1999. Appliquée à la lettre, elle avait permis peu à peu la sortie de la transition vers des institutions légitimes (APC, APW, APN). Le président de la République d'alors n'interférait jamais dans les prérogatives des institutions (exécutif, législatif et judiciaire). Le chef du gouvernement étant responsable au devant le Président et devant le Parlement. C'est lui qui proposait les nominations. Le Parlement (4e législature) disposait des prérogatives que lui conférait cette Constitution. Depuis décembre 1999, le pouvoir exécutif est incarné par un seul homme : le Président. » Depuis décembre 1999, a déclaré l'ancien député, nous avons déjà consumé pas moins de six gouvernements (Ahmed Benbitour, Ali Benflis, Ahmed Ouyahia et Abdelaziz Belkhadem), d'où une instabilité gouvernementale. « De son côté, le Parlement qui avait des relations de travail permanentes avec El Mouradia a tout perdu, il ne légifère que par ordonnances. Liamine Zeroual, qui avait été élu sur un programme politique, ne s'est jamais prévalu de l'article 70 pour en faire un Coran. Le pouvoir judiciaire censé garantir l'Etat de droit a, lui aussi, subi les contrecoups de la politique suivi de l'unanimisme rentier. » M. Saïdani a tenu à rappeler la méthode peu orthodoxe de l'éviction de Boumaza de la présidence du Sénat et la vacance prolongée du poste de président du Conseil constitutionnel, désigné et installé la veille des présidentielles de 2004. « La section IV concernant les droits et libertés — articles 29, 32, 41, 42, 43 — ne sont pas pris en compte. C'est ainsi que le pluralisme des opinions, de la presse, des partis, des syndicats est banni. Toute opposition politique s'entend au pouvoir est interdite ou combattue. » Pour notre interlocuteur, nous ne sommes ni dans un régime présidentiel à l'américaine ni français auxquels les acteurs de cette révision en font référence. « Un président qui succède au roi » « Construit autour d'une séparation stricte entre les pouvoirs législatif et exécutif, ce régime présidentiel continue de nos jours d'opposer de nombreux constitutionnalistes, du fait des prérogatives dévolues au chef de l'Exécutif, qui donne la prééminence de l'organisation politique et administrative de l'Etat au détriment du pouvoir législatif, cette forme d'organisation politique des pouvoirs est jugée comme étant la plus nommée qui soit. Pour des raisons qui leur sont donc propres, seuls les Etats-Unis pratiquent ce type de régime qui n'a cours dans aucun autre pays au monde. Sommes-nous aptes réellement à ce genre d'exercice ? Sommes-nous dans la situation des Etats-Unis d'Amérique ? » Quant au régime français, que « de Gaulle voulait sans partage, un régime inédit — cousu par la Constitution de 1958 —, il est unique dans les démocraties occidentales. De Gaulle disait qu'il ne saurait y avoir de dyarchie au sommet de l'Etat, mais seulement une monarchie républicaine. Le Président cumule ainsi les avantages d'un mandat renouvelable, avec les pouvoirs du président américain, ceux du Premier ministre britannique ou du chancelier allemand (...) Le gaullisme vit sans lois. D'un coup d'Etat à l'autre, il prétend construire un Etat, ignorant qu'il n'a réussi qu'à sacraliser l'aventure. Un dictateur n'a pas de concurrent à sa taille tant que le peuple ne relève pas le défi. Imaginer qu'un dictateur n'a d'appétit que pour le sang et n'aime que la terreur serait une sottise. Mais il sait que s'il abandonne ou néglige les moyens de son pouvoir il tombe dans la trappe d'Ubu. Il lui faut sa police, sa justice, son officine de propagande, ses armes de séduction et de répression. Au régime vieillot qui s'applique à perpétuer une société agonisante, ils peuvent opposer la promesse féconde d'un monde nouveau où la loi, sage et hardie, fera du peuple son propre maître. Ils ont, de leur côté, la liberté et la justice. Si l'on s'en tient aux formes modernes d'exercice du pouvoir, gouverner — exécutif —, c'est d'abord légiférer — Parlement — sous le contrôle direct du juge — pouvoir judiciaire — à travers le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel. » Alors, a-t-il conclu, « corrigeons puis respectons l'actuelle Constitution. Si on veut nous imposer une oligarchie, il faut l'avouer. Le comparatisme est bon, il n'est pas sans risque. Cela peut conduire à des excès inédits. Nous n'avons pas encore entre les yeux la mouture du texte, mais à lire et entendre les déclarations du coordonnateur du gouvernement et celui de l'APN, il y a lieu de s'inquiéter sérieusement. Donner les pleins pouvoirs à un seul homme, aussi intègre, aussi intelligent et immortel qu'il soit, constitue un dépassement des structures royales d'exercice du pouvoir. En fait, c'est un Président qui succède au roi — faussement légitimé par l'élection et non par le jeu des règles de descendances familiales. Imposer la désignation d'un vice-Président non élu, qui remplacera le Président en cas de vacance provisoire ou définitive, y a-t-il plus machiavélique ? » L'ancien député a noté que notre Constitution gagnerait beaucoup en donnant plus de prérogatives et de responsabilités au chef du gouvernement — lequel devrait sortir obligatoirement des rangs de la majorité parlementaire —, accorder plus d'autonomie aux députés, garantir l'indépendance au juge, la liberté et l'égalité entre les citoyens, plus d'équité et de démocratie aux partis politiques, enfin bannir toutes formes de fraudes légales : électives, fiscales, bancaires, éducatives. « La différence qu'il y a entre eux et nous, c'est que chez eux, le citoyen est libre. Il choisit ses représentants, sa Constitution. Chez nous, c'est tout le contraire. Boumaza élu fut chassé et Saâdani intronisé à la tête de l'APN. Belkhadem disait, si les citoyens décident. Arrêtons de fantasmer. Lui, l'ex-remplaçant de Bitat, puis de Benflis et de Ouyahia, sait bien où il veut en venir. Si cette Constitution devrait être amendée, ce n'est certainement pas pour accorder plus de pouvoirs à un homme, mais bien pour lui en soutirer. La Constitution de 1996, maintes fois piétinée, torsadée, congédiée, n'a jamais été respectée ni appliquée. Depuis, nous assistons à une gouvernance sans Constitution. Si amendements il y aura, le pays gagnerait plus en réduisant les pouvoirs du Président à celui de juge des sages. En se plaçant au-dessus des partis, des institutions et particulièrement du gouvernement, le Président aura une meilleure vision des choses et une autorité transcendante. Ahmed Ouyahia, ex-chef du gouvernement, est parti empêché d'exposer son bilan et son successeur Abdelaziz Belkhadem a entamé son programme sans passer devant l'APN, ni même installer son gouvernement, comme il est de coutume par le Président ». La nouvelle mouture, a déclaré M. Saïdani, devrait imposer au chef de l'Etat une date fixe et un lieu bien déterminé pour le message à la nation, et imposer un bulletin officiel mensuel de santé du Président. Etant le chef suprême — article 77 alinéa 1 — le poste de ministre de la Défense devrait être abrogé — alinéa 2. La deuxième Chambre, source de dépenses faramineuses et de convoitises malsaines, devait carrément être abrogée. L'article 74, objet de controverses et de calculs politiciens, gagnerait à être frappé d'inviolabilité et d'intangibilité. Son cas, a-t-il ajouté, devrait apparaître dans la prestation du serment lors de l'investiture. Le poste de vice-Président n'a aucune raison d'y être inscrit.En cas de vacance, les dispositions actuelles sont largement suffisantes pour parer à tout imprévu. « Aveuglés par les pouvoirs qu'ils détiennent, les concepteurs et initiateur du projet de Constitution ne sont intéressés ni par le système français, ni Américain, mais par leur moi. » L'ancien député s'est demandé si en optant pour un système politique présidentiel spécifique, comme le fut notre socialisme de « la mamelle », les concepteurs veulent prévoir le cas de figure où le Président se trouverait confronté à une famille politique autre que la sienne, majoritaire au Parlement. « Le Président, interdit de dissoudre l'Assemblée en cas de manque ou d'absence de collaboration du couple Président/Parlement, faute d'entente entre les deux acteurs, l'un ne pouvant contraindre l'autre à se soumettre à ses vues — c'est la paralysie politique totale de l'Etat —, le budget ne pouvant être approuvé. N'est-ce pas là la voie au retour à une autre — nous en avons pris l'habitude — décennie ? »