Les hommes politiques irakiens semblent incapables de mettre de côté leurs divergences et leurs ambitions personnelles. En dépit de la livraison d'avions de combats par Moscou, de l'aide de milices chiites, de la présence de conseillers militaires américains et iraniens, l'armée irakienne éprouve les plus grandes difficultés à reprendre les villes conquises, il y a près d'un mois, par les insurgés de l'Etat islamique (EI). Ceux-ci contrôlent encore Moussoul et une grande partie de la province du Ninive, ainsi que des régions dans les provinces de Diyala, Salaheddine et Kirkouk. Des secteurs d'Al Anbar étaient déjà entre leurs mains depuis le mois de janvier dernier. Les forces gouvernementales ont lamentablement échoué, par exemple, à reprendre Tikrit, ancien bastion de Saddam Hussein. Tikrit n'est pourtant qu'à un jet de pierre de Baghdad, la capitale irakienne. L'armée irakienne devrait y être basée en force. Mais ce n'est pas du tout le cas. Des spécialistes en matière de défense expliquent cet échec par la mauvaise formation prodiguée aux soldats, la corruption qui touche la haute hiérarchie militaire et les tensions confessionnelles qui traversent la société irakienne depuis la chute de Saddam Hussein. Résultat des courses : les forces gouvernementales enregistrent de lourdes pertes à chaque face-à-face avec les éléments du Daash. La mort, hier, du commandant de la sixième brigade, le général Najm Abdallah Sudan, dans un bombardement qui a ciblé la banlieue ouest de Baghdad, est assez symptomatique de la faillite de la politique sécuritaire du gouvernement Al Maliki et du danger que représente le Daash. En réalité, même à Baghdad, la situation reste des plus précaires malgré l'important quadrillage sécuritaire dont elle fait l'objet. Dimanche soir, au moins quatre personnes sont d'ailleurs mortes et 12 autres ont été blessées dans un attentat-suicide contre un café dans un quartier à majorité chiite. Al Baghdadi sort de l'ombre Les failles apparues dans le dispositif sécuritaire mis en place par Nouri Al Maliki a donné des ailes à l'EI qui, désormais, a mis Baghdad dans sa ligne de mire. Près d'une semaine après la proclamation, le 29 juin, d'un «califat» à cheval entre la Syrie et l'Irak, son leader, Abou Bakr Al Baghdadi, ne se cache d'ailleurs plus. Il est sorti de l'ombre samedi, grâce à une vidéo diffusée par de nombreuses chaînes de télévision, le montrant lors d'un prêche à Mossoul. Ragaillardi par ses victoires sur l'armée irakienne, le «patron» de l'EI semblait plus confiant que jamais. Il s'agissait de la première apparition télévisée du chef de l'EI. Outre narguer Al Maliki, Al Baghdadi semble chercher aussi, en décidant de squatter les médias, à faire de l'ombre au chef d'Al Qaîda, Ayman Al Zawahiri, dont il conteste l'autorité. Des experts parlent même d'un projet d'absorption d'Al Qaïda par le Daash. L'Etat islamique a-t-il vraiment les moyens de défier à la fois Al Qaîda et des pays comme l'Iran, l'Arabie Saoudite, les Etats-Unis et la Russie ? S'il est certain qu'avec autant de monde sur le dos, Abou Bakr Al Baghdadi n'aura pas la vie facile, son groupe pourra néanmoins continuer à déstabiliser pendant longtemps la région et, pourquoi pas même, exporter le terrorisme comme l'avait fait Al Qaîda sous Ben Laden. Les conditions s'y prêtent (instabilité en Irak, en Syrie, en Afghanistan, en Libye et au Sahel) et il dispose d'importants moyens financiers. A l'instar de la situation militaire, les indicateurs sur tableau de bord politique de l'Irak sont au rouge. La raison ? Une session du Parlement devait se tenir hier pour tenter de choisir un président de l'Assemblée avant d'élire un président de la République qui aurait lui-même à désigner un nouveau Premier ministre consensuel. Tout le monde avait, en effet, retenu l'idée que seul un gouvernement d'union nationale peut éviter au pays l'implosion. La situation était d'autant plus critique pour Baghdad que le président du Kurdistan irakien, Massoud Barazani, avait décidé la semaine dernière d'organiser un référendum d'indépendance. Donc il fallait absolument prendre de vitesse M. Barazani pour éviter une partition de l'Irak. Mais en l'absence d'accord sur le futur président de la Chambre, la session parlementaire a été une nouvelle fois reportée... malgré les risques que cela comporte. Ce report peut s'expliquer notamment par le forcing effectué par chef du gouvernement sortant, le chiite Nouri Al Maliki, au pouvoir depuis 2006 et dont le bloc est arrivé en tête des législatives, pour rempiler alors que tout le monde exige son départ et l'accuse d'avoir mené le pays droit vers le précipice. Son entêtement, s'il venait à persister, risquerait certainement d'être catastrophique pour les Irakiens. Bref, il semble que c'est encore d'un nouveau miracle dont l'Irak a besoin pour se sortir d'affaire.