Avançant en Syrie et en Irak,les jihadistes viennent de proclamer un «califat» dans l'hinterland entre ces deux pays Cette nouvelle donne qui risque de modifier les frontières existantes va sans doute susciter des réactions alarmistes chez les Occidentaux et les monarchies du Golfe et provoquer l'ire des chiites en Irak et en Iran. Les jihadistes sunnites contrôlant de larges pans de territoires en Irak et en Syrie voisine affichent leur détermination à étendre leur hégémonie en annonçant la création d'un califat islamique et en appelant les musulmans dans le monde à prêter allégeance à leur chef. Cette nouvelle donne va rendre encore plus ardue la tâche des forces irakiennes qui tentent de reprendre les régions conquises lors d'une offensive fulgurante lancée le 9 juin par l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Ce groupe, qui se fait appeler désormais «l'Etat islamique», a bien montré par l'annonce d'un califat qu'il était là pour rester. Il a indiqué que ce «califat» s'étendait au départ de la ville d'Alep (nord de la Syrie) à Diyala (est de l'Irak) et prévenu qu'il était du «devoir» de tous les musulmans du monde de prêter allégeance à son chef, Abou Bakr Al-Baghdadi, proclamé «calife Ibrahim». Les autorités irakiennes et syriennes n'ont pas encore réagi à l'annonce faite dimanche soir dans un enregistrement sonore par le porte-parole du groupe ultra radical accusé d'exécutions sommaires et d'autres abus. Mais les jours du chiite Nouri al-Maliki à la tête du gouvernement irakien depuis 2006 pourraient être comptés, l'offensive jihadiste qui a précipité l'Irak au bord du gouffre et les accusations de sectarisme réduisant ses chances de se voir confier un nouveau mandat, au début aujourd'hui des travaux du Parlement issu des élections d'avril. Le Parlement doit déclencher le processus de formation d'un gouvernement, appelé à rassembler toutes les composantes pour faire face à la menace jihadiste, parallèlement à l'action militaire qui se concentre actuellement sur la reprise de la ville de Tikrit, au nord de Baghdad. «D'un point de vue géographique, l'Etat islamique est déjà parfaitement opérationnel en Irak et en Syrie. Il est en outre présent - mais caché - dans le sud de la Turquie, semble avoir établi une présence au Liban, et a des partisans en Jordanie, à Ghaza, dans le Sinaï, en Indonésie, en Arabie saoudite, et ailleurs», affirme Charles Lister, chercheur associé à Brookings Doha. Baghdadi, dit-il, pourrait désormais ordonner des opérations «peut-être en Jordanie, ou en Arabie saoudite». Et «on peut s'attendre à une augmentation de la violence en Irak dès aujourd'hui». Selon lui, l'annonce d'un califat «fait peser une menace considérable sur Al Qaîda et son rôle de leader de la cause jihadiste mondiale». L'Etat islamique a donné le ton en annonçant le califat. «Musulmans (...) rejetez la démocratie, la laïcité, le nationalisme et les autres ordures de l'Occident. Revenez à votre religion», a lancé son porte-parole Abou Mohammed al-Adnani dans un enregistrement audio. L'Etat islamique était au départ une émanation d'Al Qaîda avant qu'il ne conteste ouvertement à partir de 2013 l'autorité du chef d'Al Qaîda, Ayman al-Zawahiri. Ses combattants aguerris livrent depuis combat aussi bien aux rebelles qu'au régime en Syrie, où ils ont fait de Raqqa (nord) une «capitale» très organisée et contrôlent une grande partie de la province de Deir Ezzor (est) frontalière de l'Irak, ainsi que des positions dans celle d'Alep. En Irak, où il bénéficie du soutien d'ex-officiers de Saddam Hussein, de groupes salafistes et de certaines tribus, le groupe est implanté depuis janvier dans la province d'Al-Anbar (ouest) et a mis la main depuis trois semaines sur Mossoul, deuxième ville du pays, une grande partie de sa province Ninive (nord), ainsi que des secteurs des provinces de Diyala (est), Salaheddine et Kirkouk (ouest).