15 août 1944, 8 mai 1945, 1er novembre 1954. Trois dates de l'histoire de l'Algérie liées les unes aux autres, même si la puissance coloniale rechigne toujours à mettre au clair cet enchaînement de causes à effets. Explication. L'histoire n'est jamais avare de paradoxes. Ainsi, ceux-là mêmes que la puissance coloniale a asservis pendant des décennies ont contribué à sortir la France de l'asservissement nazi en 1944. Alors qu'on célébrera, le 15 août prochain, le 70e anniversaire du débarquement des forces françaises et alliées en Provence, en Algérie, on s'apprêtera à panser les blessures d'une autre date collatérale, celles du conflit anticolonial qui éclata, voilà maintenant presque soixante ans, le 1er novembre 1954. Avec une date annonciatrice, conséquence aussi du débarquement, celle du 8 mai 1945, jour de la revendication algérienne portée pacifiquement et qui a été noyée dans le sang dans l'est du pays, qui fut le jour de la paix en Europe. Des milliers d'Algériens enrôlés C'était presque un an après l'implication, le 15 août 1944, que de milliers d'Algériens sont enrôlés de gré ou de force dans l'armée d'Afrique pour libérer «l'amère patrie» qui ne reconnut jamais ce sacrifice. Pour le professeur Belkacem Recham, qui a beaucoup travaillé sur cette question des Algériens enrôlés dans la Libération de la France, «les estimations du nombre de combattants musulmans dans cette armée de 1944 se situent entre 230 000 et 250 000 hommes sur une armée française estimée à 500 000 hommes, soit en gros 50%. L'étude du colonel Nivelle, pour citer quelques travaux sur la question, donne le chiffre de 246 000 hommes dont 139 000 engagés (militaires de carrière) et 107 000 appelés, le gros des appelés venant d'Algérie. Le général Juin donne le chiffre de 230 000 hommes dont 134 000 musulmans algériens». Ces chiffres suffisent assez pour situer l'ampleur du traumatisme dans la population algérienne, que la France a toujours négligée, préférant garder à la fin heureuse de la Seconde Guerre mondiale un contenu franco-français ou franco-allié anglo-américain. Belkacem Recham confiait, en juin dernier, à El Watan que la «thématique de l'anniversaire du débarquement américain en Normandie du 6 juin a toujours été privilégiée par les autorités et médiatisée plus que celui de Provence d'août 1944, qui concernait essentiellement des forces armées françaises avec des soldats d'Afrique du Nord.» Comme si les morts n'étaient que des victimes collatérales du conflit dans lequel le don de leur vie fut cependant bien nécessaire pour décrocher la victoire. En février dernier pourtant, si le président François Hollande a inauguré un monument à la Grande Mosquée de Paris, ce n'est pas pour honorer les Algériens des colonies, ni les Tunisiens, les Marocains, ou les Africains, mais «les soldats musulmans morts pour la France lors des deux guerres mondiales». On a bien lu «musulmans». «La France n'oubliera jamais le prix du sang versé. Cet hommage s'adresse à leurs descendants pour qu'ils soient fiers de leurs parents et conscients que la République a une dette envers eux. A celles et ceux qui s'interrogent sur leur destin, leur place et même parfois sur leur identité, aux descendants de ces soldats, je dis ma gratitude.» Le 14 juillet dernier, lors du défilé célébrant la fête nationale française, la présence de quelques soldats algériens (parmi 80 délégations étrangères) paraissait bien mince pour honorer la mémoire des soldats des colonies morts pour la France durant les deux guerres mondiales et, particulièrement, lors du débarquement du 15 août 1944, coûteux en vies humaines — avec au moins 1000 morts le jour J — avant le choc brutal de la libération de Marseille et Toulon, puis la remontée dans la vallée du Rhône qui sera libérée en une quinzaine de jours, avant de pourchasser l'armée allemande en déroute jusque dans ses derniers retranchements. Selon les historiens, les pertes africaines, entre 1942 et 1945, s'élèvent à 40 000 tués et 72 000 blessés, soit 18% des effectifs. En ce soixante-dixième anniversaire du 15 août 1944, alors que le débarquement de Normandie du 6 juin 1944 a été célébré en grande pompe, rien ne semble prévu avec autant d'intensité pour rappeler ce don du sang. Les sites internet du ministère de la Défense et de la présidence de la République sont en mode vacances au moment où nous rédigeons ces lignes. Faudra-t-il attendre le centième anniversaire de cette tragédie pour en prendre la juste mesure ?