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La Belle, le fric et le lapsus
Le concours Miss Algérie au cœur d'un scandale médiatique
Publié dans El Watan le 11 - 09 - 2014

Geneviève de Fontenay, invité d'honneur de Miss Algérie 2014, a réveillé les vieux démons de l'Algérie française. Etait-ce une bonne idée d'en faire l'invité d'honneur de l'événement ? Ne lui aurait-on pas tendu la perche ?
Treize minutes avant l'annonce du nom de la lauréate du concours, l'invité d'honneur de l'événement, Geneviève Suzanne Marie-Thérèse Mulmann, dite Geneviève de Fontenay, 82 ans passés, et un chapeau un tant soit peu dépassé, monte sur scène pour un discours improvisé à la demande des organisateurs. «Des jeunes filles qui représentent cette belle nation qu'est l'Algérie, mais française». Elle gesticule des bras, la confusion la gagne. «En même temps, nous sommes maintenant en France, on se mélange il n'y a que la Méditerranée qui nous sépare, l'Algérie c'est comme la Guadeloupe, la Martinique», ajoute-t-elle.
Un rire nerveux semble saccader ses mots. Dans la salle, c'est la consternation. Plusieurs personnes se lèvent et quittent le chapiteau en signe de désapprobation. En tête de file, la ministre de la Poste et des Télécommunications, Fatma Zohra Derdouri. C'est dire le degré de gravité de cet «impardonnable lapsus». Plus tard, le ministre de la Jeunesse, Abdelkader Khomri, a fermement condamné les propos qu'il qualifie de «méprisables» tenus par Mme Geneviève de Fontenay à l'égard de l'histoire du pays. Face à la «gravité» de l'incident, le ministère a tenu à préciser que «la prise de parole de Mme de Fontenay, par ailleurs fortement conspuée par toute l'assistance, n'a à aucun moment été programmée».
Miss Algérie «française» 2014
La polémique enfle. Les condamnations pleuvent sur le Net, les avis divergent. Le ministère de la Jeunesse et des Sports fustige et l'organisateur risque des sanctions. Et comme si ce n'était pas suffisant, Geneviève en rajoute. Dans un entretien accordé à la presse, elle déclare ne pas vouloir demander des excuses, ni remettre les pieds en Algérie. «Je ne suis pas le Pen, moi !» s'exaspère-t-elle. Puis, elle révèle avoir refusé un billet d'avion aller-retour offert par Air Algérie par solidarité aux Français morts dans le crash du mois de juillet. Elle livre même le montant de son cachet, 3000 euros, soit 30 fois le Snmg algérien, qu'elle craint ne jamais toucher.
Pourquoi une telle sensiblerie face à ce lapsus qui aurait pu être perçu comme une maladresse inoffensive d'une vieille dame qui confond tout ? Ses propos sont accueillis avec violence, signe que la blessure algérienne n'a pas encore été pansée, ou pire, que certains récupèrent le lapsus pour en faire une affaire d'honneur. Même la Miss fraîchement élue s'y est mise : «Je serai fidèle aux idéaux du 1er Novembre 1954», déclare-t-elle au lendemain de son intronisation sur une chaîne télé privée algérienne ; à croire qu'une Miss doit représenter des idéaux révolutionnaires. Aujourd'hui, les organisateurs doutent. Le public aussi. Fatma Zohra Chouih sera-t-elle la dernière Miss Algérie ?
Au départ, un RDV audacieux et une maladresse : organiser un concours de beauté en Algérie. Et pas des moindres, Miss Algérie 2014, sous le haut patronage du ministère de la Jeunesse, annoncé en grande pompe le 20 août dernier lors d'une conférence de presse présidée par l'organisateur Fayçal Hamdad, héritier des droits du concours en Algerie, et Salima Souakri, ex-championne de judo en qualité de marraine ; les candidates retenues sont au nombres de 20, toutes de nationalité algérienne, ayant entre 18 et 26 ans, d'au moins 1,70 m et, bien sûr, très charmantes.

Miss Algérie estampillée «Halal»»
Nous ne sommes pas sur TF1, oubliez les bikinis, les jambes interminables ou les décolletés culottés ; de ce fait, les premières questions se posent de suite : comment juger de la beauté d'une femme sur la chaîne publique ? Certains vous parleront de sourire, d'autres du regard, ou encore de l'allure. Lors de la conférence de presse, on nous parle de beauté intérieure. «On souhaite que les Algériens regardent le concours en famille, c'est pour cela que l'on fait attention à ce que l'on va montrer, notamment aux tenues des filles», explique l'attaché de presse. La marraine, Salima Souakri, ajoute : «Le concours met en avant la beauté des filles, mais aussi la culture algérienne puisque les finalistes défilent avec des habits traditionnels.»
Autant dire que le sujet est pris au sérieux. Parler de la beauté féminine n'est pas chose aisée dans un environnement musulman. La conférence de presse terminée, les 20 jeunes filles et le comité d'organisation prennent la route vers Sidi Bel Abbès, où un sponsor a accepté d'héberger l'équipe à l'hôtel Eden durant 15 jours. Les finalistes ont suivi un stage bloqué, allant des cours de langue à la ‘‘chtitha'' constantinoise. «Les finalistes se doivent de connaître la culture algérienne d'un bout à l'autre du pays», nous confie l'attaché de presse. «Nous avons même enquêté sur leur passif pour voir si elles avaient un comportement respectable», ajoute elle.

La Belle, la brute et le lapsus
Au final, le concours ne sera même pas retransmis sur l'ENTV. Le jour J venu, la chaîne nationale a décidé de ne pas diffuser l'émission en direct, comme annoncé en conférence de presse. «Par peur d'un quelconque couac, la télévision préfère transmettre l'élection de Miss Algérie en différé le lendemain», confie une source proche du staff organisateur. La salle est pleine, des personnalités de premier plan sont présentes. Artistes, ministres, et gens des médias se partagent les précieuses invitations distribuées au compte-gouttes.
Après plus d'une heure de retard, la patience s'essouffle, heureusement que les belles sont là. Sur le podium, le défilé «en tenue correcte» commence. Fatma Zohra Chouih, 20 ans, est élue Miss Algérie 2014. Les larmes aux yeux, cette Algéroise de Bab El Oued se précipite au-devant de la scène. L'écharpe tant attendue lui est passée autour de la taille. Elle devrait participer à l'élection de Miss monde 2015, selon les organisateurs. «Nous avons été reconnus et respectés à l'international bien plus qu'aux niveaux local et national», avait déclaré Fayçal Hamdad quelques jours plus tôt.
Après s'être enivrés de rêves de paillettes et de reconnaissance, les organisateurs semblent aujourd'hui groggy. L'on n'est pas bien certain que la nouvelle Miss participera aux concours internationaux, ni qu'elle aura les cadeaux promis par les organisateurs. D'ailleurs, on n'est même pas sûr que d'autres concours Miss Algérie seront organisés dans les années à venir. La tenue de cet événement, délicat en soi dans un univers culturel peu habitué à ce genre de repères (mise en scène de la beauté féminine), a été fragilisé par cette initiative peu compréhensible d'inviter Mme de Fontenay à la place d'une figure de la culture algérienne. Les lendemains de fête peuvent laisser un goût très amer pour certains, et tomber à pic pour d'autres.


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