La qualité de l'enseignement supérieur est souvent décriée par les experts et acteurs économiques et sociaux. La formation universitaire est jugée en deçà des exigences, toujours plus pointues, des secteurs économiques. Pour remédier à ce décalage, la création d'universités privées est depuis plusieurs décennies préconisée par nombre de spécialistes. Aujourd'hui, le ministre de l'Enseignement supérieur n'y voit pas d'inconvénient. Mais au-delà des déclarations d'intention, rien de concret n'est fait. Eclairage. L'année 2015 verra-t-elle la création des premiers établissements supérieurs privés ? Le 29 septembre, le ministre de l'Enseignement supérieur déclarait : «il n'y a aucun inconvénient à l'ouverture d'instituts privés.» Assurant que le «ministère n'a reçu aucune demande de création d'un établissement privé», Mohamed Mebarki a informé toutefois, que le premier cahier des charges a été retiré un mois plus tôt. Si l'annonce a fait un buzz médiatique, il faut savoir que dès le 4 avril 1999, la loi n°99-05 portant orientation de l'enseignement supérieur, ouvrait déjà une brèche aux opérateurs privés. Son article 41 stipule que «la mission de formation technique d'un niveau supérieur peut être prise en charge par des personnes morales de droit privé dûment agréées par le ministre en charge de l'enseignement supérieur». Le 18 juin 2008, un arrêté était promulgué pour fixer le cahier des charges en vue de délivrer l'autorisation de création d'un établissement privé de formation supérieure. En 2009, un opérateur privé spécialisé dans la formation (Institut national de management, Insim) avait annoncé la création de la première université privée. Mais officiellement, l'absence d'une commission chargée d'étudier les dossiers de candidature a freiné les ambitions. Il faut dire aussi que la volonté politique n'y était pas. En mai 1991, l'Etat ouvrait la voie à la formation privée. Dix ans plus tard, le décret exécutif du 20 décembre 2001 fixait les conditions de création, d'ouverture et de contrôle des établissements privés de formation professionnelle. En 2005, l'ordonnance n°05-07 a été promulguée pour régir les établissements privés d'éducation et d'enseignement. A partir de ces textes, des écoles privées (des trois paliers de l'éducation) ainsi que des centres et instituts de formation ont poussé comme des champignons. Certains de ces établissements se targuent, en faisant valoir des contrats de coopération avec des entités étrangères, de délivrer des diplômes supérieurs internationalement reconnus. D'ailleurs, lors d'une récente intervention, M. Mebarki déclarait que «plusieurs établissements privés, prétendant offrir une formation supérieure, ont reçu l'agrément du ministère de la Formation professionnelle selon un cahier des charges qui définit leur champ d'action, mais qui n'a rien à voir avec le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Ce sont des établissements hors la loi». Mais pourquoi donc ces établissements ne se sont-ils pas présentés légalement comme écoles ou instituts de formation supérieure, puisque la loi le permet ? Si certains dénoncent un cahier des charges (pour la formation supérieure) trop exigeant, particulièrement en matière d'infrastructures, il reste que les non-dits l'emportent souvent sur les textes. Mais si malgré l'existence de ces textes réglementaires aucun établissement supérieur privé n'a vu le jour, pourquoi cette année la création de tels instituts et écoles semble possible ? «Actuellement, il y a une réelle volonté des pouvoirs publics d'aller de l'avant avec un encadrement sérieux et rigoureux de la profession», constate Abdelhak Lamiri, P-DG de l'Insim, délégué par les grandes écoles publiques et privées pour faire avancer le dossier (lire interview ci-contre). Au-delà de cette volonté politique, le secteur de l'enseignement supérieur subit des critiques très sérieuses des experts et autres acteurs de l'économie nationale. La démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur, indispensable à l'émergence d'une intelligentsia capable de gérer l'Algérie indépendante, a fini par imposer une politique de gestion qui se fait au détriment de la qualité de formation. C'est le nivellement par le bas qui a fait sombrer nos universités dans les tréfonds des classements mondiaux et continentaux (le meilleur établissement algérien, l'université Mentouri de Constantine, est classé 27e au top 100 des universités africaines et au 2256e rang mondial). Cette vérité amère s'est soldée par une carence en matière de compétences actives pour les entreprises économiques, alors que le chômage des jeunes diplômés reste le plus élevé du pays (13% officiellement). A l'heure de l'économie du savoir, la formation supérieure requiert des moyens financiers considérables qu'aucun Etat ne peut assumer seul. Actuellement, «35% des effectifs estudiantins dans le monde sont dans le secteur privé. Ce ratio évoluera à 50% dans 20 ans», prévoit M. Lamiri. L'Algérie consacre près de 2,5% de son PIB au secteur de l'enseignement supérieur. Pour la prise en charge de près de 2 millions d'étudiants, l'Etat, par un calcul approximatif, débourse quelque 2000 euros par an et par étudiant. C'est loin de la moyenne de 10 000 euros des pays de l'OCDE et des 22 000 euros annuels des Etats-Unis. Alors que le coût d'un diplômé algérien représente (en 2010) 594% du PIB par habitant (la moyenne OCDE est de 38%), il est plus que temps de se focaliser sur la qualité de la formation qui, seule, pourra apporter cette valeur ajoutée et éviter la perte sèche de ces investissements. Face aux exigences toujours plus pointues des acteurs économiques en matière de compétences, cette qualité de formation devient une priorité absolue. La qualité se paye. Un secteur privé bien encadré, structuré et ambitieux peut donner le ton. Pour rester fidèle à l'esprit de la démocratisation de l'enseignement et garantir l'égalité des chances pour tous les citoyens, rappelons que l'article 46 de la loi d'orientation de 1999 stipule que «les étudiants bénéficient, au titre de la contribution à la concrétisation du principe de la justice sociale, de bourses d'enseignement et/ou d'aides indirectes de l'Etat». Ces aides sont dispensées par des «institutions ou organismes spécialisés créés à cet effet», précise le texte. Pour le financement des études supérieures, M. Lamiri affirme que la question a été posée durant les tripartites pour inclure le prêt étudiant dans les crédits à la consommation. Ainsi donc, les grandes lignes pour la concrétisation de projets d'installation d'universités privées sont définies, la volonté politique, selon certains, existe bien. Mais alors que le ministre de tutelle, M. Mebarki, annonce le parachèvement du dispositif d'encadrement et la création d'une commission chargée d'étudier les dossiers de création, il reste qu'au-delà des effets d'annonce, rien de concret n'est présenté. Pour en savoir plus, nous avons demandé au ministère de l'Enseignement supérieur la désignation d'un interlocuteur à même d'éclairer l'opinion publique. Une semaine après notre requête, la question est toujours sans suite et nos appels ont été rejetés. Alors, espérons que la volonté politique de création d'universités privées ne soit pas de même nature que celle de communiquer…