La bataille actuelle est une sorte de Diên Biên Phu. Son issue est cruciale pour rendre la dignité aux peuples arabes éloignés du fait politique à cause des régimes policiers », estime Walid Charara, responsable des pages Opinions du nouveau quotidien libanais Al Akhbar, en pleine naissance sous les bombes, et co-auteur (avec Fréderic Domont) de Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste, paru en 2004 aux éditions Fayard en France. Walid Charara rappelle que l'actuel conflit se déroule dans un climat mondial d'islamophobie et de tendances néo-colonialistes. « Ce n'est pas un hasard si, en France, le même Sarkozy soutient Israël et provoque les jeunes issus de l'immigration maghrébine », dit-il avançant que l'idéologie dominante actuellement s'identifie au discours colonialiste méprisant du début du XIXe siècle, appelant à « civiliser » les « barbares » non occidentaux. « En somme, l'on nous demande de choisir entre être civilisé ou défendre notre pays », ironise Salah, professeur de philosophie à l'Université américaine de Beyrouth évoquant le discours de certains politiques et médias occidentaux qui « mettent Israël du côté de la civilisation et le monde arabe du côté de Ben Laden ». « Le terrorisme, selon la définition occidentale, est l'emploi de la violence à l'encontre des civils pour atteindre des objectifs politiques. C'est exactement ce que fait Israël au Liban et dans les territoires palestiniens », dit Walid Charara, originaire de Bent Jbil dans le Sud-Liban, une région totalement dévastée par l'armée israélienne. Et selon ce chercheur, les objectifs israéliens, seuls paramètres pour décider une victoire, sont loin d'avoir été atteints. « Israël a échoué dans la destruction du Hezbollah et de ses capacités militaires malgré sa technologie et sa maîtrise du ciel, ni n'a pu éloigner la résistance de ses frontières Nord, ni n'a obtenu la libération inconditionnelle de ses deux soldats, ni n'a pu faire retourner l'opinion libanaise contre le Hezbollah en accentuant ses frappes contre les civils et les infrastructures, et Israël a également échoué à manipuler la carte communautariste. Israël n'a plus beaucoup de temps. Alors que le Hezbollah a tout son temps », résume Charara, insistant sur les déclarations de Hassan Nasrallah : « Nous offrirons la victoire au Liban ». Car la polémique, encore contenue par la nécessité de « l'union nationale », commence à enfler sur notamment le fait que l'Iran tire des dividendes du conflit en liant son dossier nucléaire à la situation au Liban et aussi sur les visées politiques internes du Parti de Dieu. « Le Hezbollah, contrairement aux mouvements islamistes dont l'objectif est l'instauration d'un Etat théologique, est un ‘‘cas d'école'' parmi les différents mouvements nationaux d'inspiration religieuse », explique Charara. « Jamais le Hezbollah n'a obligé les Libanais à modifier leurs mœurs. La nature multiconfessionnelle du Liban est une réalité dont Hezbollah y participe et qu'il intègre », estime une enseignante chrétienne. « Après l'arrêt de cette guerre, je ne pense pas que le Hezbollah tentera de s'imposer unilatéralement sur la scène politique libanaise. Les 15 ans de guerre civile nous ont appris qu'aucun parti ne peut acquérir seul le pouvoir », indique Rasha, cinéaste libanaise. « Le Hezbollah, ainsi que des partis laïques, veut le changement du système politique communautariste libanais actuel, mais graduellement. Ce système permet aux réseaux clientélistes de prospérer et maintient le pays dans une sorte de guerre civile froide qui s'enflamme à chaque déséquilibre régional », analyse Walid Charara. Archéologie de la résistance, de Fanon à Nasrallah « Dans les années 1950-1960, les mouvements islamistes arabes se sont opposés au nationalisme arabe. La révolution islamique en Iran en 1979 a bouleversé la donne : pour la première fois une révolution populaire renverse un tyran aussi puissant que le Chah. C'est la première révolution islamique ouvertement hostile à Israël et aux Etats-Unis. Et la pensée islamique traditionnelle en a été bouleversée : l'Islam pouvait avoir, selon une certaine interprétation, un fort contenu révolutionnaire », explique Walid Charara. Le penseur et politicien iranien Ali Shariâti, décédé en 1977, ami de Franz Fanon, a repris l'idée des « damnés de la terre » de ce dernier en la re-conceptualisant : il travaille sur le concept de « déshérité », « moustadhâafoun », cité dans le Coran. L'idée était que les changements politiques et sociaux ne pouvaient provenir que de cette classe. L'islamisme révolutionnaire, dont se réclame notamment le Hezbollah, « ne partage pas le monde en ‘‘croyants-infidèles'', mais en ‘‘arrogants-déshérités'' ». C'est cette vision qu'a importée l'imam iranien Moussa Sadr au Liban dans les années 1960. Les chiites, un tiers de la population, étaient peu représentés politiquement, acculés à vivre dans la « ceinture de pauvreté » autour de Beyrouth, particulièrement dans la banlieue-sud, que l'extrême droite chrétienne a voulu « nettoyer » au début de la guerre civile libanaise, sinon vivotant dans le Sud-Liban, une région régulièrement agressée par Israël. Hassan Nasrallah est lui-même natif du village de Nabâa dans le Sud-Liban qui a subi une épuration par l'extrême droite chrétienne des Phalangistes. Moussa Sadr, « disparu » en Libye en 1978, a d'abord créé le mouvement Amal en 1975, qui a ensuite donné le Hezbollah en 1982 suite à l'invasion israélienne. « Ce mouvement - produit du long et coûteux conflit avec Israël et dont le modèle a été suivi par le Hamas palestinien - a réussi la synthèse entre patriotisme et islamisme : un patriotisme dans le cadre national avec comme objectif la libération nationale, et l'islamisme comme moteur, motivation devant la super-puissance israélienne soutenue par Washington », dit Walid Charara.