La déclaration du Premier ministre Abdelmalek Sellal mercredi soir, en contradiction avec les discours d'autres responsables, n'a pas convaincu les militants. Aujourd'hui, les habitants en appellent à une déclaration du président Bouteflika. Ce que la plupart des militants attendaient n'est pas arrivé. Abdelmalek Sellal n'a pas annoncé la suspension de l'exploration des ressources en gaz de schiste. «Ce discours est loin de nos réalités. Nous voulons un décret présidentiel pour annuler l'exploration du gaz de schiste», lance Aibek Abdelmalek, militant des droits de l'homme à Ouargla. L'objectif du discours est de rassurer, mais la parole ministérielle est dissonante : «Je l'ai dit et je le répète, nous n'en sommes pas à l'étape d'exploitation du gaz de schiste, c'est une question qui n'est pas inscrite à l'ordre du jour du gouvernement», a déclaré le Premier ministre, alors que le PDG de Sonatrach affirmait, le 11 décembre dernier, que 70 milliards de dollars allaient être investis sur 20 ans pour produire 20 milliards de mètres cubes de gaz de schiste par an. Abdelmalek Sellal a assuré que Sonatrach allait se contenter de «terminer un deuxième forage de prospection en cours dans l'Ahnet» et que l'exploration s'arrêterait «définitivement pendant 4 ans pour faire des études et former des cadres». «C'est habituel de faire une pause après l'exploration, pour évaluer la viabilité commerciale», explique un salarié d'une entreprise d'hydrocarbures. Pas de risque donc s'il n'y a pas d'exploitation ? L'exploration serait sans danger ? «Faux», répondent les spécialistes. «Pour la phase d'exploration, c'est-à-dire pour savoir si un puits produit du gaz ou pas, on va utiliser la fracturation. Si ça marche, on reproduit la même technique pour la production et on adapte la technique pour maximiser la production», explique un expert. Visions Si Abdelmalek Sellal insiste sur la transparence dans les procédures, le journal El Khabar relève que la loi de finances 2015 contient des modifications inhabituelles. En effet, l'article 95 de cette loi, publiée au Journal officiel du 31 décembre dernier introduit dans la législation la définition des hydrocarbures non conventionnels et réglemente les périmètres d'exploitation de ces hydrocarbures. La loi sur les hydrocarbures, elle, ne donne aucun détail sur l'exploitation du gaz de schiste. Comme si tout avait été fait dans la précipitation. «Le pouvoir n'a pas de vision, ni pour demain ni pour plus tard. Il doit recourir constamment à des solutions faciles et immédiates», dénonce Lakhdar Ben Khalaf, député et ingénieur d'Etat en exploitation des mines. Le Premier ministre a pourtant déclaré, mercredi soir, qu'il n'y avait pas urgence à exploiter ces ressources : «Les réserves nationales d'hydrocarbures, qui étaient suffisantes pour 2027, ont été portées à 2037 grâce aux nouvelles découvertes, il n'y a donc pas un besoin rapide d'exploiter le gaz de schiste.» Hier, le ministre de l'Energie a, au contraire, insisté sur l'urgence pour le pays d'exploiter les ressources non conventionnelles, dans un contexte de chute des prix du baril de pétrole. Haider Bendrihem, ancien président du Syndicat des chercheurs, s'interroge : «Le gel de l'exploitation du gaz de schiste démontre que ce pouvoir ne se retrouve plus, ne sait plus quoi faire et a perdu toute légitimité. La preuve en est qu'aujourd'hui rien n'est clair, sommes-nous en phase d'exploration, d'exploitation ou de d'expérimentation ?» Redouane Guetass, militant de Ouargla, ajoute : «L'économie algérienne n'a pas besoin dans l'immédiat du gaz de schiste, mais le pouvoir despotique veut l'imposer dans sa feuille de route politique comme ultime solution pour cacher le déficit économique. Nous ne sommes pas des rats de laboratoire !» Extrêmes Conséquence de ces dissonances, les militants ont l'impression que le dialogue n'est qu'un faux-semblant. Mohamed Djouan, président de l'association Shems d'In Salah, s'emporte : «Le Premier ministre n'a pas cherché à prendre attache avec la population d'In Salah. L'intervention de Sellal a eu pour effet d'énerver d'avantage les manifestants, que ce soit à In Salah ou dans les autres régions qui s'étaient montrées solidaires. Ces déclarations de Sellal poussent aux extrêmes. Les manifestants demeurent pacifiques, mais jusqu'à quand pourrons-nous tenir les foules alors que les provocations ne cessent de s'accroître ? Nous sommes là. Nous sommes des Algériens qui ne revendiquent que leur droit. S'ils nous considèrent comme des sans statut, qu'ils nous le disent une bonne fois pour toutes !» Même constat pour Aibek Abdelmalek : «Nous sommes à notre troisième marche anti-gaz de schiste à Ouargla, dans la continuité des manifestations précédentes. Nous avons décidé de descendre dans la rue chaque jeudi. Nous étions des milliers, hier encore, pour tenir tête aux autorités. Nous allons marcher au rythme d'In Salah qui a lancé un ultimatum à l'Etat. En cas de refus, nous irons d'un commun accord avec les autres wilayas du Sud pour geler toutes les activités et annoncer une grève générale dans nos régions. Le discours de Sellal n'a pas été convainquant, nous n'avons pas compris si il s'adressait à nous ou à des économistes.» Dans les rassemblements, des manifestants haussent les épaules à l'évocation du discours du Premier ministre ; pour eux, c'est au président Bouteflika de parler. Ferhat Aït Ali, expert financier, qui milite contre l'exploitation du gaz de schiste, partage le même sentiment et ne croit plus aux déclarations officielles : «Tant qu'il n'y a pas de décision officielle, on ne croit à rien. Les réserves d'énergies conventionnelles ne sont pas épuisées et ils doivent exploiter d'autres secteurs. L'adoption de la loi sur l'énergie n'était pas démocratique, c'était un forcing, car ils n'ont pas donné assez de temps pour débattre du sujet. Même les experts qui ont développé une position contre cette initiative n'ont pas été pas consultés». Dérives Cette incompréhension n'est pas sans risque, selon l'économiste Abderrahmane Mebtoul : «Les tensions au Sud mais également dans la majorité des wilayas montrent clairement qu'il n'y pas d'intermédiation sociale et politique crédible entre l'Etat et les citoyens. Imposer sans dialoguer est totalement dépassé et source de dérives nuisibles pour l'avenir du pays. Il faut éviter d'assimiler la population algérienne à un tube digestif qui accepterait passivement la redistribution de la rente des hydrocarbures pour une paix sociale éphémère.» Le député de Tamanrasset, Baba Ali, est conscient de cette distance : «Ici, la population ne veut pas de ce projet en ce moment. Mais l'Etat veut le contraire. Je n'ai pas été convaincu par le discours de Sellal. Et s'ils continuent dans cette politique, je serai surement amené à démissionner. J'ai été élu par la population et je ne peux prendre une décision à son encontre.» Ce membre du RND affirme avoir boycotté, hier, l'audition du ministre de l'Energie à l'APN : «Youcef Yousfi ne peut pas me convaincre.»