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«Le procès est tributaire d'une décision politique et non judiciaire»
Selon l'avocat de Khalifa Moumen
Publié dans El Watan le 31 - 01 - 2015

A vocat de Abdelmoumen Khalifa, Me Nasreddine Lezzar revient sur l'arrêt de la Cour suprême relatif au rejet du pourvoir en cassation introduit dès l'extradition de Moumen en Algérie. «La Cour suprême nous a notifié, le 20 décembre dernier, sa décision relative au pourvoi en cassation intenté contre l'arrêt de renvoi devant le tribunal criminel, au motif que celui-ci a été enregistré en dehors des délais.
Or, ce recours a été enregistré au lendemain de l'arrivée de Moumen en Algérie, soit le 23 décembre 2013. Les autorités judiciaires lui ont notifié l'arrêt de renvoi qui est une sorte de synthèse des actes d'instruction sur la base desquels il a été jugé par le tribunal criminel. Elles l'ont invité à intenter un recours en cassation», précise l'avocat.
Il évoque «deux irrégularités fondamentales durant cette phase cruciale et déterminante pour la suite des procédures et la garantie de droits de la défense : Moumen Khalifa n'a été ni assisté ni conseillé par un avocat. Un autre document aurait dû lui être notifié en même temps ou plutôt en lieu et place de l'arrêt de renvoi, à savoir l'arrêt du tribunal criminel de Blida qui l'a condamné à perpétuité le 22 mars 2007.
Deuxième remarque, c'est que jusqu'à aujourd'hui cet arrêt n'a pas été notifié juridiquement à l'accusé. Le rejet de l'arrêt de renvoi introduit une donne ambiguë qui renvoie à des interrogations fondamentales : ce rejet est-il circonscrit à ce seul acte de procédure qui laisse intact le droit à un nouveau procès qui se fera, néanmoins, dans le cadre et les limites de l'instruction déjà accomplie et parachevée par l'arrêt de renvoi valide ?» se demande Me Lezzar. Il s'interroge aussi si le rejet du seul recours intenté par l'accusé peut-il engendrer «la validation de toutes les procédures accomplies et notamment l'arrêt de condamnation qui n'a fait l'objet d'aucune contestation et d'aucun recours et qui, de ce fait, risque de devenir définitif, d'où l'anéantissement de toute possibilité d'un nouveau procès».
En fait, Me Lezzar affirme que, pour l'heure, les intentions et le processus judiciaire envisagé par les autorités compétentes «manquent de visibilité tant les actes contredisent les déclarations et aussi en raison de l'absence d'une communication officielle claire et sans ambages sur un dossier qui pourtant a fait irruption dans le domaine public».
Pour l'avocat, la problématique d'un re-jugement, ou plutôt d'un jugement de Moumen Khalifa, se décompose en plusieurs questions. «A-t-il droit à un nouveau procès ? La réponse sera oui absolument, et ce, en vertu des instruments internationaux des droits de l'homme ratifiés par l'Algérie. Le droit à un procès équitable tant en matière civile que pénale constitue la pierre angulaire de tout système juridique et judiciaire. Ce principe est consacré par les instruments internationaux des droits de l'homme ratifiés par l'Algérie et qui font partie intégrante de son système normatif interne depuis la Constitution de 1989.
Le droit à un procès équitable recouvre plusieurs aspects dont nous citerons ceux qui ont fait défaut en l'occurrence, le droit de tout accusé de disposer de temps nécessaire pour la préparation de sa défense, le droit de se défendre soi-même ou d'avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et le droit de faire convoquer ou interroger des témoins.»
«Moumen sera plus dangereux derrière les barreaux qu'à la barre»
L'avocat affirme, par ailleurs, que la condamnation de Moumen Khalifa en 2007 est «l'aboutissement de ce que l'on appellerait un défaut total et absolu, celui où l'accusé n'a été auditionné ni par le parquet durant l'instruction préliminaire ni durant l'instruction judiciaire. Il n'a été ni auditionné, ni entendu, ni défendu durant toutes les phases de la procédure. Il est victime d'une violation fondamentale des droits de la défense et des droits fondamentaux de l'être humain». Par ailleurs, ajoute l'avocat, en application du code de procédure pénale et notamment l'article 326 relatif au contumax qui fait de l'anéantissement de toutes les procédures de contumace une conséquence directe et automatique de la comparution de l'accusé ou son arrestation.
Programmation du procès
Le texte, souligne-t-il, utilise la formule «anéantissement de plein droit», c'est-à-dire que l'accusé n'est même pas tenu d'en faire la demande ou d'intenter un recours. «Sa comparution et/ou son arrestation suffisent. Le parquet doit, dès la comparution de l'accusé, commencer la préparation d'un nouveau procès.Cette reprise du procès est de plein droit quand bien même la procédure de contumace initiale a été valable. D'autre part, en application de la convention ou l'accord d'extradition signé entre l'Algérie et les autorités britanniques : le droit de Moumen Khalifa à un procès équitable est une condition préalable posée par les autorités britanniques et pour l'accomplissement de laquelle les autorités algériennes se sont souverainement engagées.»
Or, révèle l'avocat, le contenu de l'accord ne lui a pas été communiqué en dépit du fait qu'il y a droit. Cet accord est important, note-t-il, si l'on prend en compte l'article 694 du code de procédure pénale qui stipule : «Sauf dispositions contraires résultant de traités ou conventions diplomatiques, les conditions, la procédure et les effets de l'extradition sont déterminés par les prescriptions du présent livre.»
L'avocat ne croit pas aux déclarations du ministre de la Justice, faisant état de la programmation du procès Khalifa.
«Les déclarations d'intention contrastent avec les actes et les procédures tels qu'ils ont été adoptés.Cette supposition se déduit aussi de ce que n'ont pas fait les autorités judiciaires, que de ce qu'elles ont fait. D'abord, l'abstention des autorités judicaires algériennes de mettre en œuvre les mécanismes de l'article 326 suscité, et ce, une année après l'extradition. Ce qui fait que l'accusé est oublié dans les geôles d'El Harrach.
Puis, la notification de l'arrêt de renvoi ‘uniquement' et l'ouverture du pourvoi pour ce seul acte de procédure. Enfin, le rejet du pourvoi et le motif du rejet ‘enregistré hors délai' alors que le recours a été enregistré lors de la notification, le blocage du droit à l'opposition par la non-notification,lors de l'arrivée de Moumen Khalifa en 2013, de l'arrêt du tribunal criminel le condamnant à perpétuité le 23 mars 2007 et le refus opposé à notre demande de notification du jugement du tribunal criminel afin que l'on intente une opposition.» Me Lezzar poursuit son analyse en disant : «Lors de l'extradition, on s'est précipité sur la précision que le contumax n'avait pas le droit à la cassation. Certes, cela est vrai, mais il n'est dit nulle part qu'il ne pouvait pas faire opposition. Nous sommes ici dans le sacro-saint domaine des garanties fondamentales et des droits de la défense et ce qui n'est pas interdit est permis. La procédure pénale est le domaine de l'interprétation stricto sensu en l'interprétation restrictive.
On ne peut étendre l'interdiction du recours en cassation à l'interdiction de l'opposition. L'interprétation extensive est prohibée en la matière.» Pour l'avocat, un procès est inévitable en vertu de la notification de l'arrêt de 2007 et l'invitation de l'accusé à enregistrer une opposition conformément à la loi mais aussi par la mise en œuvre de l'article 326 du code de procédure pénale qui prescrit l'anéantissement de tous les actes de procédure accomplis.
Cette initiative, dit-il, est du ressort du parquet qui, selon lui, n'a pas l'indépendance des juges. «Le parquet ou les parquets, juridiquement indivisibles à tous les degrés de la hiérarchie juridictionnelle, sont affiliés à une structure du ministère de la Justice ‘organe de l'Exécutif'. Ils agissent souvent de leur propre chef mais reçoivent, parfois, des instructions écrites et/ou verbales, positives ou négatives, de faire ou de s'abstenir. Les parquetiers, plutôt fonctionnaires que magistrats, sont tenus d'obtempérer aux injonctions de la tutelle. Le procès de Moumen Khalifa est tributaire d'une décision politique et non judiciaire.»
L'avocat conclut : «Le nouveau procès de Khalifa n'est plus une affaire judiciaire ‘conformément aux lois et procédures légales' mais se trouve tributaire d'une initiative du parquet et donc convertie ou pervertie en une décision de nature politique. En tout état de cause le statu quo est nuisible au système et au pays. S'il perdure, Moumen Khalifa sera plus dangereux derrière les barreaux qu'à la barre.»


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