C'est bien la première fois que les Etats-Unis déclarent envisager des négociations avec le régime syrien. C'est le secrétaire d'Etat, John Kerry, qui en fait état, mais sans aller au fond de sa pensée. C'est-à-dire quelle sera la véritable nature de ce rapprochement : dialogue, discussion, ou plus simplement négociation, chaque expression étant dans ce cas bien différente des autres. Et si cela devait être une négociation, à quoi bon se parler quand tous les ponts ont été rompus et que les portes se sont refermées ? Toutes les portes ? Là est une autre question. Mais hier, John Kerry a fait une déclaration qui tranche avec ses déclarations précédentes, ou encore les engagements des Etats-Unis avec l'opposition syrienne. Les Etats-Unis devront négocier avec le président syrien Bachar Al Assad pour mettre fin au conflit, entré dimanche 15 mars dans sa cinquième année, a reconnu le secrétaire d'Etat américain. «Au final, il faudra négocier. Nous avons toujours été pour les négociations dans le cadre du processus (de paix) de Genève I», a déclaré M. Kerry. Washington travaille d'arrache-pied pour «relancer» les efforts visant à trouver une solution politique au conflit, a dit le chef de la diplomatie américaine. Les Etats-Unis avaient participé à l'organisation de pourparlers entre l'opposition syrienne et des émissaires de Damas à Genève, au début de l'année dernière. Mais les deux cycles de négociations n'avaient produit aucun résultat et la guerre s'est poursuivie. «Al Assad ne voulait pas négocier», a asséné John Kerry. «S'il est prêt à engager des négociations sérieuses sur la façon d'appliquer Genève I, bien sûr», a répondu M. Kerry lorsque la journaliste lui a demandé s'il était disposé à parler au président syrien. «Nous l'encourageons à le faire.» Sauf que pour que la négociation soit sérieuse et peut-être concluante, il faut être au moins deux à le vouloir et surtout ne pas venir avec des conditions préalables. Le régime syrien était le premier à poser cette règle en déclarant qu'il n'allait pas à Genève pour remettre le pouvoir. Ce qui constituait une réponse à l'opposition, laquelle déclarait de son côté qu'Al Assad devait remettre le pouvoir. Un véritable cercle fermé, chacun comptant sur la seule force pour s'emparer du pouvoir ou le conserver, avant que l'opposition dite modérée soit submergée par des tendances plus radicales ne laissant pas la moindre place à la négociation, mais surtout donnant de la consistance aux mises en garde de l'ancien secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, contre une militarisation de ce conflit et des risques pour l'ensemble de la région. Et pas seulement elle, a-t-on fini par constater. Les propos de M. Kerry interviennent après ceux — plutôt rares il faut bien en convenir — du directeur général de la CIA. John Brennan a en effet affirmé, vendredi dernier, que les Etats-Unis ne veulent pas d'un effondrement du gouvernement et des institutions en Syrie qui laisserait le champ libre aux extrémistes islamistes, dont le groupe Etat islamique (EI). «Aucun d'entre nous, Russie, Etats-Unis, coalition (contre l'EI), Etats de la région, ne veut un effondrement du gouvernement et des institutions politiques à Damas», a déclaré John Brennan «C'est pourquoi, a-t-il ajouté, il est important de soutenir les forces de l'opposition syrienne qui ne sont pas extrémistes.» Quelle base donc pour toute négociation éventuelle ? On se rappelle que Bachar Al Assad avait accepté le principe d'une transition, ce qui avait été considéré alors comme un pas en avant conforme au communiqué de Genève 1 qui n'appelle pas au départ d'Al Assad. Etablies en 2012 par Kofi Annan, ces dispositions appelaient à un organe transitoire par consentement mutuel au dialogue national, à des élections libres et à un examen complet de la Constitution. Mais depuis cette date, les ponts ont été rompus, Kofi Annan a démissionné de son poste et la transition perdue de vue. La Syrie n'est plus ce qu'elle était et le danger est bien plus grand.