La sécurité énergétique à moyen terme est-elle menacée en Algérie ? Oui, répond le docteur Mustapha Mekidèche, spécialiste des questions énergétiques, vice-président et membre fondateur du CNES d'Algérie. Il tire la sonnette d'alarme en annonçant que «nous sommes en crise et nos gouvernants n'en sont pas conscients». Il est intervenu, hier, sur les enjeux de la transition énergétique aux côtés de Guillaume Duval, rédacteur en chef du mensuel Alternatives Economiques, à l'Ecole préparatoire aux sciences commerciales et sciences de gestion (EPSCSG) de Annaba, dans le cadre d'un débat modéré par le professeur Belmihoub. «Transition énergétique : deux regards croisés» est le thème de cet important événement économique qu'a organisé David Quiennec, directeur de l'Institut français de Annaba, en collaboration avec le professeur Benosmane Mahfoud, directeur de l'EPSCSG. D'emblée, l'expert a brossé un tableau sombre de la politique énergétique et des risques qu'encourt l'Algérie à court, moyen et long termes. Pour étayer son pessimisme, le docteur Mekidèche explique : «Deux raisons confirment cette menace : la croissance forte de la demande énergétique interne et la baisse des productions et des prix des hydrocarbures.» Des vulnérabilités structurelles ont été mises au jour par la crise pétrolière. «Nous avons évité de justesse un déficit commercial en 2014 sachant que l'Algérie a importé pour 59 milliards de dollars et a exporté pour 64 milliards de dollars. En 2015 et les années d'après, le déficit sera inévitable», s'alarme l'expert, qui n'est pas au bout de son pessimisme. En effet, il ajoute dans le même contexte : «Le déficit concernera également la balance des paiements en 2015, qui était déjà sous forte tension en 2014. Le déficit budgétaire est encore prévu en 2015, il est estimé à 41,7 milliards d'euros, soit 22,1% du PIB.» Décrue des réserves de change Malgré des amortisseurs financiers et budgétaires, à 60 dollars le baril, «le Fonds de régulation des recettes (FRR) sera absorbé par le déficit budgétaire en deux ans sur la base de 2012 et 2013. Les réserves de changes ont déjà entamé une décrue : 195 milliards en mars 2014 vs 185,2 milliards de dollars à fin septembre 2014, soit 10 milliards de dollars en 6 mois. Elle va s'accélérer les prochaines années, y compris avec un baril à 70 et même 80 dollars». Quant aux réserves de pétrole et de gaz, le spécialiste algérien des questions énergétiques annonce des chiffres effarants. En matière de pétrole, condensat et GPL, les réserves restantes à 2012 sont de l'ordre de 2,5 milliards de tonnes équivalent pétrole. Se référant à la même année, le docteur Mekidèche indique que les réserves de gaz naturel sont de quelque 4500 milliards de mètres cubes. «En 2030, il n'y aura plus de pétrole ni de gaz naturel sachant que la consommation interne de l'Algérie est de 50% de la production nationale en pétrole et 30% en gaz naturel», prévient le vice-président du CNES. Abordant la sécurité et la transition énergétiques, l'expert souligne les «parties communes» : «Ce qui est commun, c'est la rationalisation des modèles de consommation énergétique pour diminuer l'intensité énergétique par point de PIB et réduire l'apport énergétique dans le résidentiel pour le même confort. L'exemple de la réussite des pays membres de l'OCDE, sur la période 1975-1986, a été marqué par la diminution de la consommation, estimée à 900 millions de tonnes, soit la production annuelle de l'OPEP de 1986. L'Algérie est un exemple d'échec car le gaspillage des pays de l'OPEP, dont l'Algérie, est choquant. Le prix du gasoil est 20 fois moins élevé qu'en Norvège, l'un des plus grands producteurs de pétrole du monde.» Malgré son alarmisme, M. Mekidèche préconise : «La voie est étroite pour assurer en même temps notre sécurité énergétique à long terme et financer un nouveau modèle de croissance tel que spécifié, y compris la transition énergétique orientée vers le développement durable. Mais c'est possible si un large consensus politique et social est construit, en réduisant le poids des lobbies internes et externes et des rentes persistantes autour du partage équilibré des sacrifices et des fruits de la croissance. La promotion du capital humain et des entreprises algériennes sont les deux facteurs-clés du succès.» De son côté, Guillaume Duval, rédacteur en chef du mensuel Alternatives Economiques a exposé l'expérience française dans la transition énergétique. Un modèle qui ne peut pas être transposé en Algérie car la France utilise l'électricité nucléaire. «La loi française de transition énergétique prévoit 32% d'énergies renouvelables en 2030 et 40% d'ENR électrique», a-t-il affirmé.