L'intérieur de l'usine signifiée sur scène est hanté par des femmes mannequins en bout de route et des mannequins de bois en attente d'achat problématique. La fabrique est à bout de souffle. Les femmes sont écartelées. Elles sont au bord de l'explosion. Un violoniste, un contrebassiste et un trompettiste règlent la note à un spectacle japonais Le Vase de nuit, d'une haute valeur symbolique : Orie, la jeune ouvrière de mannequins, est désemparée. Son métier disparaît. La société marchande opte pour d'autres styles et d'autres silhouettes. C'est la dernière danse des mannequins. On refaçonnera le monde aux nouvelles exigences des maîtres de la consommation, les ennemis des états d'âme. Dans Le Vase de nuit où évoluent 10 comédiens de la troupe Uzume, tout est indexé sur la valeur marchande de l'objet. La femme-objet et l'objet femme. Les derniers mannequins disloqués seront des pièces détachées qui ne trouveront ni preneur ni protecteur. Les entrepreneurs de l'échange inégal en ont décidé ainsi. Rappelons que la pièce japonaise est une adaptation libre de l'inusable conte fantastique The Golden Vase d'ETA Hofmann (1776-1822). Le rêve confisqué est aussi présent dans le message du spectacle Excuse-moi monsieur de la troupe irakienne. La troupe des répétitions durables les personnages sont des vendeurs de thé sur la célèbre et triste route principale qui relie l'Irak à la Jordanie. C'est la route des marchands ambulants de thé, mais aussi celle de toutes les trahisons accumulées sur le sol jadis béni du pays du Tigre et de l'Euphrate. Excusez-moi monsieur, écrite par Aouataf Nouaâime, parle de guerre sans montrer la guerre. Les voix, appels et mouvement de groupe reconstituent le drame sans faire du théâtre naturaliste sur scène. La mise en scène pathétique, comme l'abominable destruction de la patrie de Salah Eddine El Ayoubi, n'introduira ni char ni bruitage de mitraille, tout juste, de temps en temps, les hululements lugubres des klaxons de gros tonnages, traversant en trombe les nuits mouvementées des vendeurs de thé sans boussole. Les comédiens, formés à l'école laboratoire jouent assez souvent en aparté pour insister sur la solitude qui frappe leurs compatriotes. Excusez-moi monsieur ne fait pas dans le discours. La politique au sens commun du terme est à peine évoquée mais tout le monde comprend, dans « la petite salle » de l'opéra du Caire, qui se cache (un mot inaproprié) derrière qui pour terroriser un peuple entier. Des flaques de lumières, agencées avec minutie. La fable cruelle de cette dérive que rien ne semble arrêter face aux appétits des plus forts. Les exploiteurs de tout bord. Excusez-moi monsieur donne une autre image de l'Irak. Elle dégage une image de la résistance de l'art d'où sont exclus volontairement Saddam, le boucher mégalomane, et Bush, l'impérialiste falot. C'est l'art en tant que valeur pérenne, impliquée dans la vie qui est là. L'art dans son acception humaine. La troupe irakienne a beaucoup ému. La sincérité était révélatrice de beaucoup de choses que les images des médiums actuels ne pouvaient expliquer. Bravo