L'épreuve des maths a fait des siennes encore cette année chez les élèves bacheliers. Ces derniers sont sortis abattus lundi dernier après avoir qualifié le sujet des mathématiques de «compliqué» et d'«inabordable». Cet avis est partagé pratiquement par tous les lycéens de différentes filières. Le sujet est-il réellement incompréhensible, ou est-ce que le niveau des élèves qui est plus ou moins faible pour le résoudre ? «Je ne suis pas du tout surpris par les résultats que je constate sur le terrain. Il y a toujours eu de ‘‘bons'' et de ‘‘mauvais'' élèves dans les classes, mais l'écart entre les uns et les autres est devenu un gouffre ces dernières années», révèle Bachir Hakam, professeur de mathématiques au lycée colonel Lotfi d'Oran. Ce pédagogue estime que «la constatation est particulièrement alarmante pour les premières années secondaires que nous avons accueillies cette année (2014-2015) dans mon établissement». Notre interlocuteur est interpellé surtout par rapport aux «différences de niveau incroyables qui se sont déjà installées entre des élèves de seulement 14 ans». «Certains élèves arrivent au lycée sans avoir la moindre base dans quelque domaine que ce soit», met-il en garde. Les mathématiques ne servent à rien, disent certains élèves à leurs professeurs qui les incitent à s'investir dans la matière. le Refus des maths atteint le cycle primaire Leur rejet est de plus en plus avéré non seulement au secondaire, mais au collège aussi et parfois même au primaire. «J'ai peur des calculs», avoue timidement Lina, une élève de première année primaire. Cette fillette de 6 ans ayant de bonnes notes dans d'autres matières éprouve beaucoup de difficultés à faire la simple opération de l'addition ou de trier les chiffres en ordre croissant ou décroissant. Le rejet de cette écolière pour les mathématiques s'exprime par des crises de larmes qu'elle fait à chaque fois que sa mère lui demande de faire des révisions. Bien qu'elle reconnaisse que sa maîtresse d'école est très indulgente, Lina préfère étudier une autre matière (lire, écrire ou dessiner) que de résoudre un simple exercice de calcul. «Ma maîtresse me demande seulement de refaire les calculs lorsque je commets une erreur», raconte Lina dont la gêne est trahie par l'expression du visage et les gestes des mains. Le refus est à tous les niveaux. Les élèves refusent-ils réellement de faire des efforts de réflexion, ou bien est-ce la mauvaise prise en charge de cette matière qui fait fuir les élèves ? «Il faut savoir que 99% des connaissances en mathématiques ne seront pas utilisées dans la vie de l'élève, et elles ne sont importantes que pour ceux qui auront volontairement choisi une voie où on s'en sert», explique M. Hakam. Mais cet argument n'explique qu'en partie le comportement des élèves. Bachir Hakam n'omet pas de rappeler à l'occasion que «les connaissances mathématiques dans leur globalité serviront dans la vie des élèves pour leur culture générale. Les maths sont très importantes pour la formation du raisonnement et de l'esprit critique». Ce qui laisse entendre que l'échec en maths peut entraîner d'autres lacunes, notamment chez ceux qui vont devoir suivre des études universitaires. L'enseignement des maths se fait sans logique Les mathématiques sont une discipline pas comme les autres, rappelle Sadek Bouroubi, professeur de mathématiques à l'université de Bab Ezzouar (USTHB), mettant en exergue l'aspect expérimental des autres matières, à l'instar des sciences naturelles et de la physique. Pour ces dernières matières, «pratiquement tous les sens interviennent. En maths, le seul sens qui intervient est la raison», explique cet enseignant universitaire. Et de poursuivre : «Lorsqu'on demande à une personne d'utiliser uniquement sa raison, elle se fatigue». A titre d'exemple : «Si l'élève ne trouve pas de réponse dans les premières minutes de l'épreuve, après réflexion il éprouve de la fatigue. De ce fait, il est incapable de résoudre le problème». En outre, les programmes n'ont pas pris en compte l'enseignement de la logique, un chapitre qui figurait autrefois dans les programmes de seconde et qui permet aux élèves d'avoir un raisonnement mathématique. Ainsi, les élèves éprouvent des difficultés à traiter des sujets relevant de l'abstraction. A cette faille s'ajoute le nombre de matières étudiées qui d'après M. Hakam «dépasse l'entendement». L'élève soumis à ce régime se trouve épuisé et «refuse de réfléchir, d'où le refus des mathématiques», se persuade Bachir Hakam, qui juge que ce rejet est «compréhensible». La surcharge des classes a été également soulignée comme l'un des facteurs essentiels ayant conduit à l'échec de l'enseignement des mathématiques. M. Hakam se demande comment motiver les élèves à l'apprentissage des mathématiques dans des classes de plus de 40 ? Les Méthodes et les enseignants critiqués Mais qu'est-ce qui a changé la réalité des maths sachant que de par sa nature cette discipline a toujours été abstraite ? Sadek Bouroubi, professeur de mathématiques à l'université de Bab Ezzouar (USTHB) met l'accent sur le rôle de l'enseignant. «L'acte d'enseigner repose sur trois aspects : l'enseignant, l'enseigné et la méthode. La connaissance passe à travers la méthode. Le problème qui se pose est que l'enseignant se retrouve de plus en plus face aux élèves sans aucune expérience». Et de révéler : «Il y a des professeurs qui ne savent pas ce qu'est la méthode». Il dénonce en outre l'absence du module de logique dans le cursus de ces enseignants. De ce fait, «ils ne savent même pas quelle est la méthode qu'il faut utiliser», déplore-t-il soulignant qu'il y a plusieurs raisonnements en mathématiques. «L'élève (du primaire jusqu'à l'université) attend de son enseignant que ce dernier lui transmette la connaissance. Mais lorsque l'enseignant prend le cours qu'il a préparé et le reproduit au tableau», cela ne peut en aucun cas inciter l'élève à suivre attentivement le cours de maths. «Les mathématiques n'ont besoin d'écriture que lorsque l'idée est déjà transmise aux élèves», explique M. Bouroubi, dénonçant les méthodes de certains enseignants qui se précipitent vers la résolution du problème avant même que l'élève ait compris la question. «La raison du refus des mathématiques par les élèves demeure l'enseignant lui-même», insiste ce professeur. «L'enseignant a besoin d'un tuteur» Il suggère au passage de revoir la formation de ces formateurs. Et de désigner un tuteur pour chaque enseignant en début de carrière, comme cela est le cas pour les étudiants. «Le rôle du tuteur est de montrer à cet enseignant les méthodes pédagogiques, les moyens de communication et la manière de se comporter avec les étudiants», suggère l'universitaire. Pour les postes de tuteurs, «il faut nommer les enseignants les plus expérimentés au lieu de les envoyer en retraite», conseille l'universitaire. «Lorsque l'enseignant transmet des informations, il faudrait que ces dernières soient justes», préconise ce professeur de mathématiques, alertant sur le fait que de nombreux enseignants donnent de fausses informations. Pour sa part, Bachir Hakam fait remarquer que les enseignants de mathématiques eux-mêmes n'ont jamais été préparés, ni formés à enseigner cette matière en utilisant les nouveaux moyens didactiques et les TIC. D'où leur incapacité à faire aimer la matière à l'élève. Seuls 20% des élèves peuvent suivre un cursus scientifique convenablement en première année secondaire, selon les données de Bachir Hakam, porte-parole du Conseil des lycées d'Algérie (CLA). Ce syndicaliste ayant l'habitude d'analyser le rendement des élèves explique cet «échec» par la mauvaise orientation scolaire en quatrième année moyenne. Pour les 80% qui éprouvent des difficultés, ils ont recours au cours particuliers. Le porte-parole du CLA estime que ces difficultés sont à l'origine de la «démotivation, l'indiscipline et la violence» en milieu scolaire. De plus, au collège, les élèves «ont appris à avoir des têtes beaucoup bien pleines que bien faites».