Une centaine de médicaments est actuellement en rupture de stock dans les pharmacies. Une situation inquiétante résultant des coupes budgétaires du ministère de la Santé. «Avez-vous appelé le ministère de la Santé ? Que vous a-t-on dit ?» Ce sont les premières phrases des pharmaciens rencontrés un après-midi de carême à Alger. Mais bien vite le ton réticent laisse place à l'angoisse : «Il nous manque beaucoup de médicaments, dont certains concernent des maladies chroniques.» Une inquiétude partagée par le Syndicat national algérien des pharmaciens d'officine (SNAPO) qui a publié, il y a deux jours, un communiqué qui dénonce l'indisponibilité de médicaments pour l'hypertension artérielle. Aujourd'hui, plus de 100 médicaments sont en rupture de stock dans les pharmacies. Des médicaments pour la tension artérielle, aux antibiotiques comme l'ordinine. De l'insuline, de la ventoline également, indispensable aux personnes souffrant d'asthme, dont la marque la plus abordable est actuellement introuvable. Une situation catastrophique, pour les malades concernés, qui ne touche pour l'instant pas les médicaments anti-cancéreux. Ce sont, en effet, des produits hospitaliers qui sont directement importés par la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH) qui possède un stock de sécurité. Bras de fer Chaque année, lors du dernier trimestre de l'année, le ministère de la Santé étudie les demandes d'importation de matériel médical et de produits pharmaceutiques. Au mois de juin 2015, certains programmes d'importation ne sont toujours pas signés. La raison ? «Un bras de fer» entre multinationales pharmaceutiques et le ministère de la Santé. Selon un cadre d'une société d'importation de médicaments, «le ministère nous a demandé de réduire nos prix de manière significative, jusqu'à 60%. Nous avons été obligés d'abandonner l'importation de plusieurs produits». Mohamed Achouri, directeur de rédaction du mensuel Santé Mag affirme que «le ministère de la Santé a voulu que les laboratoires réduisent leurs prix, car ils vendent plus cher ici qu'au Maroc ou qu'en Tunisie. Ils ont trouvé cela illogique, car l'Algérie représente un plus gros marché que ces deux pays». En conséquence, l'Etat a imposé aux laboratoires étrangers de baisser les prix des médicaments importés. «C'est un chantage aux labos», assène M. Achouri. Selon lui, la pénurie actuelle est vouée à se prolonger, voire à s'aggraver. Les raisons avancées seraient l'«impunité» des fonctionnaires du ministère de la santé qui ont toute la latitude pour faire baisser la facture des importations. Les opérateurs économiques, de leur côté, ont peur de perdre d'autres licences d'importation et se taisent sur cette situation. Vide médical Une autre raison avancée pour expliquer la pénurie est la volonté du gouvernement de privilégier la production nationale de médicaments. Ainsi, de nombreux produits pharmaceutiques ont vu l'arrêt de leur importation, car une entreprise algérienne s'est engagée à le produire dans un délai convenu avec l'Etat. Le problème survient lorsque l'entreprise ne parvient pas à produire la molécule dans les délais impartis. Avec l'arrêt de l'importation du produit, le médicament devient introuvable et le citoyen malade se retrouve face à un véritable vide médical. C'est le cas, par exemple, du Carbamazepine, médicament soignant l'épilepsie. L'entreprise qui importait cette molécule s'est vu demander une diminution de son prix de 50%, ce qui a eu pour effet de bloquer son importation. Parallèlement, un laboratoire algérien a promis sa production pour le deuxième trimestre 2015. La production n'ayant toujours pas débuté, le produit est en rupture de stock chez les distributeurs locaux. «L'intention était bonne», note Mohamed Achouri, «mais en voulant réduire la facture des médicaments, le ministère de la santé a créé la pénurie.» Conséquence néfaste de cette pénurie, le circuit informel se développe. «Des individus apportent des sacs de l'étranger contenant 20 boîtes de comprimés ou de sirop, et les vendent aux officines pour pallier la demande», s'inquiète le professionnel de santé. Ce qui a pour effet d'augmenter les prix, mais aussi de mettre sur le marché des produits non contrôlés, donc potentiellement dangereux pour le consommateur.