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Quand les caméras cachées se «daéchisent»
Dérives audiovisuelles
Publié dans El Watan le 27 - 06 - 2015

Le programme de caméra cachée «Otages», présenté par Sofiane Dani et diffusé en ce mois de Ramadhan sur Echourouk TV, est, vraisemblablement, en train de rater complètement sa cible et de tourner au fiasco, à en juger par la très forte vague d'indignation qu'elle suscite de la part des téléspectateurs. Le concept de ce gag est de simuler une prise d'otages dans un café par un groupe terroriste.
Le programme est filmé dans un pays du Golfe. Toujours friands d'exotisme, Sofiane Dani et son équipe ne lésinent, décidément, pas sur les moyens pour aller toujours plus loin dans leur quête du sensationnel. L'an dernier, son terrain de chasse fut la Thaïlande avec une caméra cachée du même tonneau intitulée Opération Thaï Thaï, et diffusée sur KBC. Le pitch ? Une attaque armée contre un petit village dans lequel la cible aura préalablement été conduite après une (fausse) panne de moteur.
Au premier degré, l'idée de ces caméras cachées est de tester la réaction de la personnalité piégée, placée dans des situations extrêmes. Mais le véritable effet recherché est, de toute évidence, de «faire le buzz» et d'exploser l'audimat dans un paysage concurrentiel de plus en plus féroce.
A parcourir les commentaires du public sur les réseaux sociaux à propos du programme «Otages», et qui accablent copieusement le produit, force est de constater qu'une bonne partie de ceux qui le regardent, goûte très peu la farce.
C'est particulièrement l'épisode 4, diffusé le 21 juin, et prenant pour cible l'ancien international algérien et actuel pensionnaire du club émirati d'Al Fujaïrah, Madjid Bougherra, qui a le plus scandalisé l'opinion. Alors que l'ancien capitaine des Verts est attablé avec un Tunisien quelque part dans une ville du Golfe, des hommes armés font irruption dans la cafétéria.
Ils mettent Bougherra à terre avant de le forcer à entrer dans une petite pièce où il sera entassé avec d'autres «otages». Des cris de panique fusent. «Magic» Bougherra garde stoïquement son calme. Au bout d'un moment, il est embarqué, yeux bandés et mains attachées derrière le dos, à bord d'un 4x4 à destination d'un lieu désertique. L'ancien joueur des Glasgow Rangers est ensuite filmé en gros plan, un bandeau noir sur les yeux, et prêt à subir son sort. L'image fait immédiatement penser aux exécutions filmées de Daech. La vidéo fait aussitôt le tour du web et provoque un tollé.
Terrorisme «odieux-visuel»
«Cette émission, au lieu de nous faire rire, nous ramène à l'époque où la peur et le sang n'étaient malheureusement pas une caméra cachée», s'indigne un internaute sur facebook. Un autre renchérit : «C'est un sujet sensible, nous avons souffert du terrorisme aveugle et vous effrayez les gens, aib alikoum!» Un troisième internaute abonde dans le même sens : «Ces gens n'ont pas vu le sang couler à Bentalha et partout en Algérie.» Certains font observer les risques que font peser ces frayeurs sur la santé des âmes fragiles : «Imaginons un instant que le piégé (ou la piégée) ait un infarctus !» commente un facebooker outré avant de lâcher : «Ce qui les intéresse, c'est l'audimat !» Parmi les autres personnalités «piégées» par cette «camira makhfiya» au goût douteux, l'homme politique Rachid Nekkaz.
Mais c'est l'ancien capitaine des Verts dont on connaît la popularité qui aura le plus marqué les esprits. A tel point d'ailleurs que même la presse anglaise s'est fait l'écho de cette mauvaise blague. Et c'est la page facebook dédiée à cette caméra cachée qui le dit.
A la clé, un lien vers un article du Daily Mail sous le titre : «Footballer forced to kneel for “execution” in shock TV prank» (un footballeur forcé à s'agenouiller pour une «exécution» dans un choquant canular télévisuel).
Le Daily Mail souligne que «l'Algérie est en état d'alerte maximum en raison de la menace permanente des réseaux terroristes et criminels» qui pèse sur notre pays. Dans la foulée, le quotidien anglais rappelle l'épisode de l'attaque de Tiguentourine dans lequel, insiste le journal, «6 ressortissants britanniques et 30 otages occidentaux ont été exécutés». Une manière de suggérer qu'on ne rigole pas avec un tel sujet.
Le site http://www.huffpostmaghreb.com indique, pour sa part, que d'autres journaux britanniques se sont emparés de l'affaire comme The Mirror et The Telegraph. En France, le site du quotidien 20 Minutes, relayant la vidéo du faux kidnapping de Madjid Bougherra, s'est fendu de ce commentaire : «Marcel Béliveau doit se retourner dans sa tombe. L'inventeur de la caméra cachée n'a pas fait que des illustres petits enfants puisqu'un de ses successeurs a sans doute eu l'idée la plus étrange de l'année : feinter la prise d'otage. Oui, une prise d'otage.»
Mimétisme glauque et compétition trash
Il tombe sous le sens que Sofiane Dani et ses épigones n'ont rien inventé et que nos chaînes télé ne font que piquer (pour ne pas dire piller) des concept mille fois éprouvés. Aujourd'hui, les caméras cachées sont devenues un fléau, la plaie des grilles ramadanesques. Cela vire à l'overdose. Et face à cette panne générale d'idées, les producteurs se livrent à une compétition effrénée, avec toujours plus de trash, toujours plus de sensationnel, pour scotcher le téléspectateur et l'empêcher d'aller zapper du côté de la concurrence.
L'un des ressorts à la mode sur les télés arabes : les pannes d'avion en plein vol. Deux programmes de caméra cachée se disputent, en ce moment même, les écrans au Moyen-Orient : « Ramez Wakel El Jaw», avec le sulfureux Ramez Jalal, et «Houbout Ethtirari» (atterrissage forcé) présenté par le comédien Hani Ramzi. La chaîne tunisienne Attassia diffuse, elle aussi, une caméra cachée dans la même veine sous le titre «Ettayara».
L'émission est produite par Moez Ben Gharbia, directeur de la chaîne, et présentée par l'humoriste Wassim Migalo. En plus de simuler la panne d'avion, la caméra cachée tunisienne fait monter le suspense de plusieurs crans en infligeant, de surcroît, à la personnalité piégée, le supplice de faire mine de poser l'appareil en détresse à Misrata, dans une Libye à feu et à sang.
Et l'avion de se voir pris d'assaut par des hommes armés. Dès la diffusion du premier épisode d'«Ettayara», crise diplomatique : Fajr Libya s'en prend violemment à la chaîne Attassia en l'accusant de porter atteinte à la dignité des combattants de Misrata. Les autorités tunisiennes s'en mêlent et promettent de réagir. Un tribunal aurait même ordonné de suspendre la diffusion de l'émission.
D'un autre côté, le prédicateur Bachir Ben Hassen a carrément condamné la caméra cachée en question : «Tarwi'a el moumin ka qatlihi» (effrayer le croyant, c'est comme le tuer), martelait-il dans une vidéo. Une chose est certaine : avec le sanglant attentat qui vient d'endeuiller Sousse, pas sûr que les Tunisiens aient le cœur à rire des péripéties d'un Abdelfettah Mourou se faisant malmener dans une parodie de détournement d'avion par des hommes encagoulés…


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