Les responsables des chaînes de télévision privées analysent différemment la mise en garde du ministère de la Communication sur les violences dans les programmes diffusés ce mois de Ramadhan. Le département de Hamid Grine a demandé, dimanche, aux directeurs des chaînes privées de «prendre, sans délai, des dispositions rigoureuses pour expurger les grilles de programmes des expressions de violence et autres scènes contraires aux traditions et valeurs de la société sous peine de retrait de l'autorisation». «Nous aurions voulu que la réaction vienne de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel au lieu du ministère de la Communication. Il faut au moins respecter les formes. Nous attendons toujours le cahier des charges pour savoir ce qu'on peut faire et ce qu'on ne peut pas faire à la télévision», a déclaré Chawki Smati, directeur des productions à Dzair TV, qui a confirmé la suppression de la grille de la caméra cachée «Le couloir». Dans cette émission, des personnalités publiques sont mises dans une situation de grosse frayeur. Elles sont prises d'assaut par des comédiens maquillés en zombies dans un couloir obscur. «Le concept de l'émission nous a plu, nous avons acheté le programme. Ce genre de programmes est apprécié du public. Nous avons arrêté la diffusion, mais ce n'est pas une censure. En 2014, il y a eu l'opération ‘Thaï Thaï' (sur KBC), mais cela n'a fait réagir personne, malgré une certaine violence vue à l'écran. Je vous invite à voir certains sitcoms et vous verrez le niveau de violence à l'égard de la femme et de l'enfant», a relevé Chawki Smati. D'après lui, un débat sur la violence à la télévision serait le bienvenu. «Mais, c'est un débat que nous pouvons accompagner. Ce n'est pas à nous de l'engager», a-t-il insisté. Leila Bouzidi directrice de l'information à Echourouk TV s'interroge sur le tapage suscité autour de la caméra cachée «Otages». Dans ce programme, des artistes et des sportifs sont pris en otages par des hommes armés et conduits parfois les yeux bandés, comme ce fut le cas pour le footballeur Madjid Bougherra. «Les Algériens subissent la violence quotidiennement. Une violence qui est liée aussi à l'avenir du pays. Pourquoi alors se focaliser sur ‘la caméra cachée'.» Ce genre de programmes existe dans toutes les télés du monde. Regardez ce qui est diffusé par certaines chaînes arabes, c'est au-delà de ce qui peut être imaginé. Mais les téléspectateurs regardent, certains apprécient, d'autres non. Cependant, on n'est jamais arrivé au stade de demander la fermeture d'une chaîne de télé à cause d'une caméra cachée. Et, pourquoi on se concentre sur Echourouk TV ?», se demande Leila Bouzidi. Selon elle, certains feuilletons, diffusés actuellement, débordent de scènes et de dialogues contraires à la morale et aux bonnes mœurs. «Mais, personne n'en parle. Nous regrettons que certains de nos confrères demandent la fermeture d'Echourouk TV. Nous, en tant que média, devons être solidaires entre nous. Les chaînes de télé doivent parler d'une seule voix pour arracher plus de liberté et d'acquis. Je pense qu'Echourouk TV fait les frais de son succès. En trois ans, Echourouk a pu créer deux chaînes de télévision. L'une diffuse en norme HD. Elle est la première à le faire au Maghreb. Il est vrai qu'il existe des erreurs comme dans toutes les chaînes. Il ne faut pas oublier que c'est une nouvelle expérience, que le projet d'ouverture de l'audiovisuel n'a pas encore abouti et que la loi n'est pas encore claire», a estimé Leila Bouzid, qualifiant la grille des programmes d'Echourouk TV de respectable. Anis Rahmani, directeur général d'Ennahar TV, a, pour sa part, confirmé avoir reçu une correspondance du ministère de la Communication. «Le contenu du document est quelque peu vague. J'aurais aimé qu'on précise les programmes et les chaînes ciblés par la mise en garde du ministère. Je pense qu'il s'agit de ‘Otages' d'Echourouk TV et ‘Le couloir' de Dzair TV, dans lesquels la violence est visible», a-t-il noté, citant l'épisode de Majid Bougherra, évoqué par la presse étrangère et celui de Dalia Chih (la jeune chanteuse a perdu connaissance au cours de l'émission). «A Ennahar TV, nous ne diffusons aucun programme qui incite ou qui évoque la violence. Nous estimons que l'Etat refuse toute propagande pour le terrorisme à la télé. Depuis plus de deux mois, nous avons décidé d'interdire l'antenne à Abdelfatah Hamadache en raison de la violence de son discours. Il est hors de question pour nous de revenir aux années 1990 et d'ouvrir l'antenne à ceux qui font l'apologie du terrorisme», a déclaré Anis Rahmani. KBC, la chaîne d'El Khabar, a reçu hier une correspondance de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel sur deux programmes : «Jornane El Gosto» et «Allo, oui». «Je viens de sortir du bureau de Miloud Chorfi (président de l'Autorité de régulation, ndlr) qui m'a remis cet avertissement, même si la rencontre était amicale. Dans ce document, on estime que ‘Allo, oui' et ‘Jornane El Gosto' portent atteinte parfois à des symboles de l'Etat et à de hauts responsables. On parle de dépassements répétitifs et d'atteinte à l'ordre public. On explique que cela viole les lois sur l'information et sur l'audiovisuel et piétine les règles de déontologie», a indiqué Ali Djerri, directeur général de KBC. Citant le même document, il a relevé que l'Autorité de régulation dit respecter la liberté de création mais dans le cadre de la loi. Ali Djerri a estimé que des dérapages ont été enregistrés par le passé sans que les pouvoirs publics ne réagissent. «Madani Mezrag (ex-chef de l'ex-AIS, ndlr) a été reçu à la présidence de la République et a publiquement déclaré à la télévision qu'il avait tué sans qu'il ne soit inquiété. L'autre (Hamadache) a ouvertement dit qu'il souhaitait ouvrir ‘une ambassade' de Daech en Algérie dans un média. Sans réactions aussi. On évoque aujourd'hui la caméra cachée, parce que cela a pris de l'ampleur à l'étranger», a-t-il observé. Le directeur de KBC a confié avoir diffusé à contrecœur la caméra cachée «Opération Thaï Thaï» durant le Ramadhan 2014. «Je n'étais pas d'accord jusqu'à la dernière minute. Mais, j'ai dû faire un choix. C'était plus ou moins diffusable, car l'émission était tournée en Thaïlande et ceux qui attaquent l'invité-cible n'étaient pas des terroristes islamistes. Mais, la violence était là. Nous avons fait d'autres choix cette année. Donc, nous ne nous sentons pas concernés par la mise en garde du ministère. Cela dit, pour l'islamisme, la position de la chaîne est connue de tous», a soutenu Ali Djerri. Il a appelé à l'instauration dans les normes de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel pour qu'elle puisse agir correctement et dans le cadre des lois de la République. Selon lui, l'Autorité de Miloud Chorfi est affaiblie actuellement par son propre statut. «Ce qui ouvre la voie aux pressions en tous genres», a-t-il noté.