Dans l'avion d'Air Algérie qui les amène d'Alger à Montréal, on peut reconnaître quelques-uns à leurs nombreux bagages, un peu plus que les autres passagers, à leur excitation et à leur angoisse parfois qui trahissent la peur de l'inconnu après avoir quitté les leurs pour une nouvelle vie. Une nouvelle aventure d'où ils doivent repartir de zéro. On les reconnaît aussi à leurs questions parfois existentielles (travail, enfants, réussite, études, couple…) et pour lesquelles il n'y a pas de réponses toutes prêtes. Ce sont les nouveaux immigrants algériens qui débarquent à l'aéroport Pierre-Elliott Trudeau de Montréal dans la province du Québec à chaque vol d'Air Algérie – d'autres, peu nombreux, atterrissent dans d'autres aéroports ou passent par d'autres compagnies. Tout se passe généralement vite et bien avec les services d'immigration fédéraux ou provinciaux. La bureaucratie canadienne a le mérite d'être efficace. Ses lourdeurs ou ses problèmes avec la corruption sont ailleurs et le risque de la croiser à l'aéroport est faible. Au premier trimestre 2015, pas moins de 414 immigrants d'origine algérienne ont été admis au Québec sur un total de 9200. Ils sont classés cinquièmes après les Chinois, les Français, les Iraniens et les Marocains, selon les statistiques du ministère de l'Immigration. Ces chiffres peuvent paraître faibles, mais il ne faut pas oublier que ce sont ceux d'un seul trimestre. Pour l'année 2014, le Québec a reçu 50 275 immigrants dont 7% venaient d'Algérie, soit 3519. Ils étaient classés 3es après les Iraniens et les Français, suivis des Chinois et des Haitiens. «C'est une communauté d'installation récente au Québec et au Canada en général», explique le Dr Brahim Benyoucef, expert en urbanisme et fondateur de l'Observatoire Espace et Société au Québec. Il a dressé un portrait de l'immigration algérienne au Canada en 2013 (voir l'entretien qu'il a accordé à El Watan pour ce dossier). «Selon la période d'immigration, seulement 360, soit 2,0% du total des Algériens immigrés au Québec, ont immigré avant 1976 ; 165, soit 0,9% ont immigré entre 1976-1980 ; 170, soit 1,0% entre 1981-1985 ; 760, soit 4,3% entre 1986-1990», explique-t-il. S'ensuit une «hausse» de l'immigration algérienne qui coïncidait avec la décennie noire. Et c'est dans les années 2000 qu'il y a eu une «explosion». «Entre 2001 et 2006, soit durant cinq ans seulement, le Canada a reçu plus d'Algériens qu'il n'en a reçus durant deux décennies (1980 à 2000)», remarque le Dr Brahim Benyoucef. Plusieurs raisons expliquent cette évolution. «La politique d'accueil que la Canada a adoptée pour parer à son déficit démographique, la situation sécuritaire en Algérie fragilisée dès 1988 et la volonté de certaines familles algériennes de profiter d'une ouverture pour explorer de nouvelles opportunités, d'autant plus que le Canada affiche une attitude d'ouverture et d'accueil très différente de l'hostilité de certains pays d'Europe, dont la France», selon le même interlocuteur. Le cheminement au Québec d'une famille maghrébine typique a fait l'objet d'une bande dessinée publiée en 2010 par le Centre culturel algérien (CCA), une association indépendante basée à Montréal — à ne pas confondre avec les centres culturels relevant de la diplomatie algérienne. Intégration… Dites-vous ! est le titre de la BD d'une quarantaine de pages éditée en collaboration avec le ministère de l'Immigration. Elle gagnerait à être mise dans le sac d'accueil de tout immigrant qui débarque d'un avion d'Air Algérie. On y suit les parents, Madjid et Nabila, et leurs deux enfants, Nawal et Nassim. Après l'euphorie des premiers jours, place à la déception et la frustration des parents qui ne trouvent pas de travail. La maman remet en cause le choix de venir au Québec. Le père, de son côté, n'arrive pas à digérer le fait de se retrouver à compter sur l'aide sociale. Lui dont les succès professionnels dans son pays étaient donnés comme exemple. Maintenant, il passe son temps avec d'autres immigrants qui vivent de l'aide sociale et qui passent leur temps dans les cafés à broyer du noir et à cracher sur cette société qui ne les reconnaît pas à leur juste valeur. De leur côté, les enfants s'intègrent plus facilement à travers l'école. Et c'est la rencontre avec la famille québécoise d'un ami de leurs enfants que leur expérience au Québec prend un cheminement plus positif. La bande dessinée a le mérite d'utiliser un langage direct et aborder frontalement les problèmes (les vraies affaires, comme on dit au Québec). Pensée positive et réussite Mehdi Benboubakeur est arrivé au Québec avec sa femme il y a une dizaine d'années à l'âge de 31 ans. Au bout de 2 semaines, il répond à une petite annonce. Un producteur de film indépendant cherchait une personne qui avait des qualifications en effets spéciaux. «On m'a demandé où j'avais fait mes études dans ce domaine. Je leur ai dit que j'étais autodidacte», explique Mehdi. A son grand bonheur, il est retenu. «J'ai passé les tests, et j'ai obtenu le poste», raconte Mehdi. En Algérie, il avait lancé une agence de publicité. Parmi ses clients, l'émission Khatem Souleimane qui passait sur la télévision algérienne et dont il avait réalisé le générique. «Je ne présume jamais que la personne que je vais rencontrer va me dire non», nous dit cet ingénieur en génie mécanique, major de sa promotion. Mehdi a, par ailleurs, une formation supérieure en marketing-communication qu'il a suivie à l'école El Qualam à Annaba, en Algérie, en partenariat avec l'université de Perpignan (France). Avec un ami, immigrant d'origine marocaine, il lance en 2008 un magazine, Réussir Ici. «Notre vision était d'adopter une attitude et une pensée positives, (à ne pas confondre avec la pensée magique, Ndlr). Il faut prendre notre place dans la société d'accueil. Nous sommes en Amérique du Nord. Il ne faut pas attendre qu'on nous la donne. Il faut juste entreprendre. Rien ne peut nous bloquer si nous avons la bonne idée», explique-t-il avant de lancer un : «Si tu te lances en mode perdant, sois sûr que tu vas perdre». Mehdi n'a pas refait d'études mais a pris des cours de cinéma. «Le magazine m'avait permis d'agrandir mon réseau et j'ai été approché par l'organisme ‘‘La conférence des élus de Montréal'' qui m'a proposé de déposer ma candidature pour un poste de chargé de communication que j'ai fini par décrocher», nous dit-il. Il est à ce poste depuis 2008. L'organisme vient d'être dissous il y a quelques jours, mais Mehdi Benboubakeur n'a pas chômé et il continue sa carrière à la tête du Printemps numérique, «une initiative qui renforce le positionnement de Montréal comme capitale créative». «Mon conseil aux nouveaux arrivants est d'être positif et de croire en soi. Il faut aussi se dire qu'il y a toujours du bon même dans les situations les plus difficiles et qu'il n'y a rien d'anormal de passer par des moments de doute et de questionnement», conclut ce papa de 3 garçons, tous nés au Québec. Aziz reprend le chemin de l'école Le problème de la non-reconnaissance des diplômes et de l'expérience acquises par les immigrants en dehors du Québec n'arrête pas les demandes d'immigration venant d'Algérie. Encore moins les délais de traitement de dossiers par les services d'immigration du Québec qui vont de 4 ans et 9 mois à 5 ans et demi en moyenne. «J'ai quitté l'Algérie, c'était mon premier objectif. Ce qui allait venir après m'importait peu», nous explique Djamel, un ingénieur en informatique qui travaille dans le soutien technique dans un centre d'appel. «Le taux de chômage des immigrants était de 11,6% en 2013 contre 7,6% pour l'ensemble de la population. La population immigrée d'arrivée très récente (5 ans ou moins) affiche un taux de chômage plus élevé que celui de l'ensemble de la population immigrée (14,6% contre 11,6%). Le taux de chômage des personnes immigrantes diminue avec la durée de résidence. Il était de 11,2% chez celles arrivées il y a 5 à 10 ans, et de 10,8% chez celles arrivées il y a plus de 10 ans», selon les chiffres du ministère de l'immigration. Aziz, 34 ans, est arrivé au Québec il y a un peu plus d'une année. Avec un diplôme français en ressources humaines et une expérience de travail de 8 ans à Alger, il ne s'attendait pas à ce qu'aucune compagnie ou administration ne réponde à ses dizaines de CV envoyés. «Je savais que ça n'allait pas être facile. Avec Internet et les amis qui vivent depuis plusieurs années, j'entendais parler du problème. Mais je me disais que ça n'arrive qu'aux autres», affirme ce père de deux petites filles. «Curieusement, je ne recevais des réponses que pour des postes de travail dans les centres s'appel», ajoute-t-il. «Ne jamais écouter les mauvais conseils», répète Aziz qui se rappelle le chemin que lui ont montré certains immigrants qui vivent de l'aide sociale et qu'il a rencontrés dans un café du quartier le Petit Maghreb de Montréal. «Mets-toi sur l'aide sociale et travaille au noir. C'est la seule issue pour les immigrants ici», lui conseille-t-on. Si d'autres peuvent subir un «lavage de cerveau», Aziz n'y succombe pas. Il commence à travailler comme commercial dans une grande enseigne de distribution. Voyant qu'il ne pouvait pas évoluer, il quitte après quelques mois. «La réussite passe par un bon travail qui nécessite un diplôme d'ici», nous dit Aziz qui a repris le chemin des études pour préparer un diplôme en gestion commerciale. Alors, quid d'une immigration réussie ? Pour le Dr Brahim Benyoucef, «elle consiste en une adhésion confortable dans le milieu d'accueil. J'entends par confortable, consciente et cohérente avec la vison et les valeurs de l'individu et de sa famille. Une adhésion intervenant à tous les niveaux emploi et société. Une adhésion qui répond aux attentes initialement fixées. C'est une adhésion réussissant l'équilibre entre conscience identitaire et conscience citoyenne».