Déclaration des animateurs du Manifeste pour la reconnaissance constitutionnelle d'un statut politique particulier de la Kabylie sur les violences dans le M'Zab La vallée du M'zab a vécu ces derniers jours l'une des violences les plus meurtrières depuis le début des affrontements entre la communauté mozabite et la communauté arabophone installée dans la région. L'usage des armes à feu constitue une étape gravissime franchie dans les affrontements, et certains crimes relèvent de crimes contre l'humanité. L'Etat, dont la mission régalienne est d'assurer la sécurité des biens et de personnes, en dépit d'une mobilisation sans précédent des services de sécurité, a échoué dans le maintien de l'ordre public. Aujourd'hui, des familles sont en deuil, d'autres sont dans le désarroi total et toute une communauté, la communauté mozabite, est dans une profonde interrogation quant à son devenir sur son territoire. Une civilisation millénaire est attaquée dans ses fondements, touchée dans son existence et réduite à vivre dans des retranchements. Le vivre ensemble qui a caractérisé la vallée du M'zab depuis des siècles est aujourd'hui remis en cause. Les appels lancés maintes fois pour rétablir la paix et la sérénité sont restés sans échos et de multiples tentatives de conciliation se sont avérées inefficaces devant les entreprises de provocations et les manipulations des forces obscures qui tirent profit des affrontements. Les déclarations de certaines parties de porter, de manière consciente ou inconsciente, le conflit sur le terrain strictement religieux est dangereux et peut décupler d'une manière inimaginable le niveau de violence. L'idéologie salafiste, prolongement de la doctrine wahhabite, exploitera ce glissement de manière certaine, avec les appuis des pétrodollars, pour installer le conflit sur un terrain où il serait impossible d'envisager une voie de sortie. S'il faut chercher la main étrangère qui cherche à déstabiliser la vallée du M'zab, il faut orienter le curseur vers ceux qui ne cessent de faire des appels au meurtre au nom d'une conception rétrograde de l'islam et non pas accuser des militants attachés aux valeurs des droits de l'homme qui se mobilisent pour exprimer leur solidarité à la communauté mozabite. Seul le débat démocratique est capable de restituer la voix à ceux qui vivent la réalité des événements et envisager une amorce dans l'atténuation des tensions et le règlement du conflit. Et comme nous l'avons signalé dans le Manifeste que nous avons rendu public le mois de décembre dernier, on ne fera que surfer sur les problèmes si on n'intègre pas la problématique de la reconnaissance des droits communautaires en Algérie tant sur les plans identitaire, culturel et cultuel que politique. Et ce n'est certainement pas avec l'arrestation, que nous dénonçons avec la plus grande vigueur, de militants politiques de la cause mozabite, connus pour leur attachement à la non-violence, qu'on pourra envisager un processus de dénouement de la crise. La déclaration du Premier ministre quant à la préservation de l'unité nationale demande une clarification quand on sait que c'est le système politique instauré depuis l'indépendance qui est porteur de violence et de menace pour l'unité nationale : — Promeut-on l'unité nationale quand on pousse des régions, comme la Kabylie en 2001, à entrer en conflit car leur propre culture, leur langue et leur rite religieux sont menacés et sont soumis à la déculturation et l'annihilation de toute singularité ? — Peut-on parler d'apaisement et d'équité de la justice entre les Algériens quand des lanceurs d'alerte sur les dangers pesant sur leur communauté sont jetés en pâture à l'opinion nationale et présentés comme responsables de la violence ? — Peut-on parler d'un Etat de droit et de droits de l'homme quand un ex-ministre de la Justice, et occupant aujourd'hui les plus hautes fonctions de l'Etat, se permet sans aucune retenue à présenter un détenu politique comme un criminel avant même qu'il soit jugé ? La recherche de bouc émissaire dans une situation aussi dramatique trahit non seulement une incapacité à faire face aux événements, mais relève de la lâcheté politique. Le déploiement de l'armée, et la nouvelle mission qui lui a été assignée, acte de manière claire l'échec des toutes les politiques menées jusqu'à présent. Le traitement sécuritaire n'est néanmoins pas de nature à régler une crise politique profonde dont le signe révélateur est la disqualification totale des élus locaux et des représentants politiques de l'Etat à l'échelle régionale comme à l'échelle nationale. Ce qui se passe dans le M'zab est aussi, sinon, l'échec de l'Etat- nation par son incapacité à intégrer le pluralisme culturel et identitaire de la nation algérienne. Continuer d'ignorer cette réalité au nom de la sacro-sainte homogénéité du peuple algérien, c'est prendre le risque d'un démembrement national quand viendront s'ajouter les éléments de la crise sociale, inéluctable avec l'effondrement des capacités de la rente. Continuer à ne reconnaître l'existence communautaire que lorsqu'il s'agit d'évoquer les conflits intracommunautaires est de l'aveuglement politique aussi bien du pouvoir que d'une large partie de l'opposition. Les animateurs du Manifeste kabyle, tout en apportant leur solidarité à la communauté mozabite et tout en s'associant à la douleur des familles des toutes les victimes, réclament la libération de Kamel Eddine Fekhar et de ses compagnons et exhortent la classe politique à l'ouverture d'un débat sur la question du rapport de l'Etat à la nation afin d'envisager des solutions durables à des conflits de la nature de ce que vit la vallée du M'zab. Et, pour nous, seul un nouveau pacte d'union nationale construit sur la reconnaissance des droits communautaires et l'acceptation de l'Algérie comme nation multiculturelle est à même de garantir la cohésion nationale et la paix durable entre tous les Algériens.