Une vue de Béjaïa La situation conflictuelle qui règne ces jours-ci à Ghardaïa, dans la vallée du M'zab, préoccupe de plus en plus à Béjaïa. Le dernier rassemblement de soutien aux victimes, qui s'est tenu dans la nuit de dimanche à la place Saïd Mekbel, témoigne d'une adhésion de plus en plus importante aux actions de soutien et de dénonciation que certains acteurs politiques tentent de mener pour peser sur la suite des événements. Dans la nuit de dimanche, des centaines de militants des droits de l'homme, de militants politiques, des syndicalistes, des élus, des artistes, des représentants de la société civile, des étudiants et des citoyennes et citoyens anonymes ont tenu à prendre part à ce rassemblement de soutien troisième du genre depuis le début des événements sanglants de Ghardaïa. Ce dimanche soir, la mobilisation était plus conséquente comparée à la dernière action du genre. Le rassemblement s'est aussi singularisé par la présence des représentants de la communauté mozabite résidant à Béjaïa. Des bougies ont été allumées tout autour de la stèle de Saïd Mekbel à la mémoire des victimes de ces événements. Le rassemblement de soutien se voulait, selon ses initiateurs, «l'expression de la solidarité des Béjaouis à la population de la vallée du M'zab» mais aussi une manière de dénoncer le «laxisme de l'Etat quant au règlement de cette crise». «Nous ne pouvons pas rester insensibles devant les atteintes au droit à la vie et à la sécurité des citoyens et de leurs biens!» indiquait Yacine Zidane, membre très actif du comité. De son côté, Hocine Boumedjane, de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme ne comprend pas «pourquoi l'Etat a échoué dans cette affaire», estimant qu'il «faut trouver rapidement des solutions et arrêter ces assassinats qui nuisent à l'image de notre pays». Dans une déclaration, le comité incrimine le pouvoir qui est «le seul responsable dans ces événements». «L'immobilisme motivé, l'incompétence et surtout l'impuissance de l'Etat à prendre en charge les besoins des citoyens ont permis le débordement tragique des événements d'aujourd'hui et menace irrémédiablement la stabilité de tout le pays» lit-on encore. Présents sur les lieux, les animateurs du Manifeste pour la reconnaissance constitutionnelle d'un statut politique particulier de la Kabylie ont estimé que «l'usage des armes à feu constitue une étape gravissime franchie dans les affrontements et certains crimes relèvent de crimes contre l'humanité». Tout comme le comité organisateur, les animateurs du manifeste n'ont pas manqué d'accabler la mission de maintien de l'ordre». «Le vivre-ensemble qui a caractérisé la vallée du M'zab depuis des siècles est aujourd'hui remis en cause. Les appels lancés maintes fois pour rétablir la paix et la sérénité sont restés sans échos et de multiples tentatives de conciliation se sont avérées inefficaces devant les entreprises de provocations et les manipulations des forces obscures qui tirent profit des affrontements», souligne-t-on. Les déclarations de certaines parties, «relèvent au passage l'exploitation salafiste des événements avec les appuis des pétrodollars, pour installer le conflit sur un terrain où il serait impossible d'envisager une voie de sortie». «S'il faut chercher la main étrangère qui cherche à déstabiliser la vallée du M'zab, il faut orienter le curseur vers ceux qui ne cessent de faire des appels au meurtre au nom d'une conception rétrograde de l'islam et non pas accuser des militants attachés aux valeurs des droits de l'homme», affirme-t-on allusion aux déclarations des officiels algériens mais aussi à l'arrestation des militants, tel Fekhar, dont l'arrestation est vivement critiquée par le comité de soutien à Ghardaïa: «Ce n'est certainement pas avec l'arrestation, que nous dénonçons avec la plus grande vigueur, de militants politiques de la cause mozabite, connus pour leur attachement à la non-violence, qu'on pourra envisager un processus de dénouement de la crise», soutiennent les animateurs du manifeste. Abordant la déclaration du Premier ministre quant à la préservation de l'unité nationale, les animateurs sinterrogent sur sa faisabilité «quand on pousse des régions, comme la Kabylie en 2001, à entrer en conflit car leur propre culture, leur langue et leur rite religieux sont menacés et sont soumis à la déculturation et l'annihilation de toute singularité. Quand des lanceurs d'alerte sur les dangers pesant sur leur communauté sont jetés en pâture à l'opinion nationale et présentés comme responsable de la violence et quand un ex-ministre de la Justice se permet sans aucune retenue de présenter un détenu politique comme un criminel avant même qu'il soit jugé. «Le déploiement de l'armée et la nouvelle mission qui lui a été assignée, acte de manière claire l'échec de toutes les politiques menées jusqu'à présent, estime-t-on au Manifeste de Kabylie, qui relève «l'échec de l'Etat-Nation par son incapacité à intégrer le pluralisme culturel et identitaire de la nation algérienne. Les animateurs du Manifeste de Kabylie, tout en apportant leur solidarité à la communauté mozabite et tout en s'associant à la douleur des familles de toutes les victimes, réclament la libération de Kamel Eddine Fekhar et de ses compagnons et exhortent la classe politique à l'ouverture d'un débat sur la question du rapport de l'Etat à la Nation afin d'envisager des solutions durables à des conflits de la nature de ce que vit la vallée du M'zab. Seul un nouveau pacte d'union nationale construit sur la reconnaissance des droits communautaires et l'acceptation de l'Algérie comme nation multiculturelle est à même de garantir la cohésion nationale et la paix durable entre tous les Algériens», se montrent convaincus les militants du Manifeste de Kabylie.