Les drames se suivent et se ressemblent en mer Méditerranée. Des dizaines de cadavres humains jonchent les côtes européennes, faisant de cette mer, autrefois lieu d'échange et de vie, un vaste cimetière à ciel ouvert. Il ne se passe pas une semaine sans que les médias ne se fassent l'écho d'une tragédie retraçant la mort de nombreux demandeurs… de vie. Hier encore, la marine italienne a recensé la mort de plus d'une quarantaine de migrants. Etouffés dans la cale du bateau les transportant, ces migrants provenant des côtes libyennes espéraient pourtant vivre sous des cieux plus cléments. Même si les secours ont pu sauver de nombreux migrants, ces dizaines de décès viennent allonger la triste et longue liste de disparus et de victimes de la maudite traversée méditerranéenne. «A 5h (GMT), un hélicoptère de la marine italienne a repéré un bateau en difficulté à environ 21 miles des côtes libyennes, au sud de l'île italienne de Lampedusa», rapporte une journaliste de la télévision Rai News en notant que le bateau surchargé et qui commençait à couler, transportait quelque 300 migrants. Une fois que les sauveteurs de la marine italienne se sont rapprochés du bateau, ils ont découvert une quarantaine de corps sans vie dans la cale. Des témoignages affirment que généralement les migrants placés dans la cale sont ceux qui ont moins payé pour la traversée. Ils font ainsi face au plus grand risque d'étouffement ou d'asphyxie à cause de l'espace confiné et des émanations de carburant. Piégés dans la cale, ils sont aussi les plus exposés au risque de noyade dans le cas où le bateau chavire. Fait dramatique aussi rapporté par les témoignages des survivants, la lutte pour la survie peut faire que les migrants qui sont sur le pont du bateau empêchent ceux dans la cale de sortir. Ces drames quasi quotidiens qui se déroulent dans cet espace marin peinent pourtant à émouvoir le monde. Les 2500 morts enregistrées en Méditerranée depuis le début de l'année en cours, ou encore les plus de 22 000 victimes depuis le début de ce siècle ne suffisent-ils donc pas à faire fondre ces barrières entre pays et êtres humains ? Le monde est pourtant fait de ces mouvements humains qui depuis la nuit des temps ont permis de façonner des civilisations et créer des nations. La forteresse Europe créée par le monde moderne est une négation des principes d'humanité et une application à grande échelle de la politique de non-assistance à personnes en danger. Ce ne sont pas des migrants économiques mais des demandeurs d'asile, des réfugiés fuyant des guerres, des conflits et des dictatures. Des demandeurs d'asile face à la Forteresse Europe Atteindre l'Europe n'est pas un choix pour ces nombreux humains en détresse, mais une nécessité, une issue, un refuge. Patrick Kingsley, dans un article paru dans le prestigieux The Guardian, a démonté le mythe de l'envahissement de l'Europe par les migrants subsahariens ou réfugiés syriens : «Contrairement à l'idée répandue par certains hommes politiques, la majorité des migrants ne sont pas des migrants économiques. Selon des chiffres compilés par l'ONU, 62% de ceux qui ont atteint l'Europe par bateau cette année provenaient de Syrie, de l'Erythrée et de l'Afghanistan. Des pays déchirés par la guerre, l'oppression dictatoriale et l'extrémisme religieux. Cette proportion monte à 70% de demandeurs d'asile, si on ajoute les migrants fuyant le Darfour, l'Irak, la Somalie et le Nigeria .» Par ailleurs, et contrairement encore à certaines rumeurs médiatiques pointant la migration comme un phénomène envahisseur de l'Europe, le nombre de migrants arrivés sur le vieux continent est de 200 000 personnes, et ne représente que 0,027% de la population totale de l'Europe, qui est de 740 millions. Outre ce fait, il est aussi utile de souligner que l'Europe entière, se targuant faussement d'être une terre d'asile pour les réfugiés, ne reçoit qu'une infime partie de réfugiés. «Il y a des pays dont l'infrastructure sociale est au point de rupture en raison de la crise des réfugiés, mais ils ne se trouvent pas en Europe. L'exemple le plus évident est le Liban, qui abrite à lui seul 1,2 million de réfugiés syriens parmi une population d'environ 4,5 millions… Un pays 100 fois plus petit que l'Europe qui reçoit 50 fois plus de réfugiés que l'UE», note Patrick Kingsley. Pendant que les politiques débattent de comment mieux fermer les frontières, le monde assiste sans sourciller à la mort silencieuse d'êtres humains en détresse. La traversée funeste de la Méditerranée est pourtant une conséquence des interventions de l'Europe hors de ses frontières.