Arrestation du président de transition, dissolution des institutions, morts par balles et manifestations, Ouagadougou replonge dans la crise à moins d'un mois des élections. Au Burkina Faso, le temps a fini par donner raison à la petite poignée d'observateurs qui s'étaient montrés persuadés ces derniers jours que Blaise Compaoré, le président chassé du pouvoir par la rue au mois d'octobre dernier, et ses fidèles lieutenants n'allaient pas assister, les bras croisés, au démantèlement du régime qu'ils ont mis 27 ans à bâtir. Pour eux, il était certain qu'ils tenteraient une ultime tentative de reprise en main de la situation. Et cela par n'importe quel moyen. Affairées à peaufiner les préparatifs du scrutin du 11 octobre prochain qui devait permettre aux Burkinabés d'élire un nouveau Président et d'achever par la même occasion la transition, les autorités intérimaires -qui pensaient en avoir définitivement fini avec le système Blaise- n'ont, quant à elles, pas du tout prêté attention aux rumeurs, insistantes pourtant, annonçant un possible coup d'éclat, après l'élimination de la course à la présidentielle d'anciennes figures du pouvoir comme Eddie Komboigo, des éléments du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l'ancienne garde prétorienne du Président déchu. Cette négligence, couplée à une sorte de naïveté politique, a fini par coûter cher aux autorités de la transition puisqu'elles se feront surprendre mercredi après-midi par un coup d'Etat alors qu'elles étaient en plein Conseil des ministres. Personne n'y a vu que du feu. Et comme la rumeur qui avait circulé ces derniers jours à Ouagadougou le laissait présager, ce sont bien les éléments du RSP qui étaient à la manœuvre. Composée de 1200 hommes surentraînés et suréquipés, les éléments de cette petite armée qui sont restés fidèles à l'ex-président Compaoré estiment n'avoir de comptes à rendre à personne... même pas au haut commandement de l'armée. Ils n'obéissent qu'au tout-puissant général Gilbert Dienderé. Ancien chef d'état-major particulier de Blaise Compaoré, il était jusqu'à hier coordinateur du renseignement. Le RSP est tellement craint que plusieurs tentatives, ces derniers mois, de le dissoudre se sont soldées par des échecs cuisants. Comme il fallait s'y attendre, c'est le général Dienderé qui a été «choisi» pour diriger le Conseil national de démocratie (CND), la structure qui a remplacé les autorités de transition renversées. Couvre-feu Réglée comme du papier à musique, la première phase du putsch a consisté en l'arrestation du chef de l'Etat Michel Kafando et du Premier ministre de la transition, Yacouba Issac Zida. Les éléments du RSP ont directement fait irruption en plein Conseil des ministres pour leur passer les menottes aux poignets. Le président du Conseil national de transition (CNT-Parlement), Cheriff Moumina Sy, a pu leur échapper. Il devient de fait le premier personnage de l'Etat. C'est d'ailleurs lui qui a appelé, mercredi soir, à partir d'un lieu tenu secret, la population «à se mobiliser pour défendre la mère patrie». M. Cheriff Sy a donné l'ordre également hier à l'armée d'arrêter les auteurs du putsch. Dans un second temps, les putschistes ont pris le contrôle des médias publics. Des radios privées comme Radio Oméga qui a soutenu l'insurrection du mois de septembre 2014 ont été empêchées d'émettre. Des journalistes ont même été tabassés. Jusqu'à hier, les événements avaient fait plusieurs morts et une soixantaine de blessés. Par la suite, les militaires ont annoncé la dissolution des institutions de la transition, la fermeture des frontières terrestres du Burkina Faso et l'instauration d'un couvre-feu. Dès mercredi soir néanmoins, des patrouilles du RSP ont commencé à sillonner les rues de la capitale et à tirer en l'air des tirs de sommation pour dissuader la population de sortir manifester. Malgré cela, des centaines de jeunes ont bravé la peur et protesté pendant plusieurs heures place de la Nation, dans le centre de Ouagadougou. Par crainte des pilleurs, la majorité des commerces ont quant à eux baissé rideau. La ville de Ouagadougou, avec ses rues désertes, ressemblait hier à une ville morte. Le climat était très lourd. Rares ceux qui se sont aventurés dehors. Le Burkina Faso -qui était impatient d'honorer son rendez-vous avec la démocratie du mois d'octobre prochain, est désormais plongé dans l'incertitude. L'ex-président Compaoré, actuellement réfugié en Côte d'Ivoire, est-il réellement impliqué dans le coup d'Etat ? Le général Dienderé nie mordicus rouler pour lui. Il a par ailleurs promis de libérer les responsables politiques arrêtés. Ce n'est pas tout. Le patron des renseignements burkinabés a expliqué le renversement de la transition par son souci, entre autres, de rétablir une forme d'«équité» sur la scène politique. Le général Dienderé veut bien entendu dire qu'il va «rendre justice» à tous les anciens pro-Compaoré écartés de la course à la présidentielle après le vote par le CNT d'une loi d'exclusion. Le RSP, qui en est à sa 4e intrusion musclée sur la scène politique en l'espace d'une année, craint aussi de devoir rendre des comptes après le mois d'octobre. Il n'est pas interdit de penser que ses chefs cherchent aussi, par ce coup de force, à négocier une immunité. Bien possible donc que Blaise n'ait rien à voir avec les événements. En revanche, il paraît clair que son système et ses réseaux y sont pour quelque chose. Ceci dit, il serait naïf de croire que lui et sa famille ne profiteront pas de la situation.