- Omar Aktouf. Professeur titulaire à HEC Montréal «C'est une crise à triple niveau. Deux exogènes : chute des prix du pétrole - ralentissement de l'économie mondiale/échec du néolibéralisme, et une endogène, c'est-à-dire structurelle : l'atonie endémique de la politique économique algérienne, loin d'avoir ce qu'il faut pour en atténuer les effets. L'affaire est très complexe. Tous les indicateurs nationaux étant au rouge foncé, depuis la drastique baisse de revenus jusque l'impossibilité de baisser les coûts des importations. Nos réserves et notre FRR seront vite en fonte comme beurre au soleil et nos déficits (budgets, paiements courants…) risquent de plonger plus vite qu'on ne le craint. Quelques pistes fondamentales sont nécessaires; il ne faut surtout pas penser austérité ! Le FMI hurle que ça aggrave les choses ! Il est primordial que des politiques budgétaires de relance et non monétaires de contraction soient mises en place; utiliser les 160 milliards de réserves de change et les 30 milliards du FRR (combinés à dette basse) pour songer aux emprunts internationaux à bas coûts; plans de lutte contre la corruption et l'évasion fiscale (va-t-on sérieusement poursuivre les Ali Baba des autoroutes, de Sonatrach… ?); mettre les «oligarques» et les «informels» qui pèsent en centaines de milliards de dollars impérativement à contribution (Poutine l'a fait début 2000 avec le succès que l'on sait); lancer un emprunt national (bons du gouvernement) qui implique le rétablissement de la confiance du peuple en ses institutions. Enfin, pour le long terme, il est temps de jeter les bases du développement autocentré (Malaisie, Chine…), de la diversification de l'économie sous houlette de plans et «marché guidé», à commencer par la transformation de ce que nous vendons le plus : le pétrole, dont on peut retirer plus de 30 000 dérivés de haute valeur, le tout avec une relance agricole, les infrastructures et les TIC, le tourisme, la formation d'une main-d'œuvre productive (et non pléthores de MBA et DBA !).» - Taieb Hafsi. Professeur de management à HEC Montréal «Cette crise est une bonne chose pour l'Algérie. Elle pourrait amener les décideurs à agir. Les problèmes de l'économie nationale sont, en grande partie, d'ordres institutionnel et organisationnel. Ils ne découlent donc pas de la baisse des revenus de l'Etat, sous l'effet de la diminution des recettes pétrolières. Entre autres solutions à mettre en œuvre dans les plus brefs délais, il est primordial de rendre simples les procédures qui régissent l'économie. L'interdiction de l'intrusion policière dans le fonctionnement économique est une autre action à mener pour relancer la machine. Au lieu d'un soutien aux prix, sujet délicat, il est plutôt recommandé de renforcer le pouvoir d'achat du citoyen, comme le font certains pays, au lieu de vendre à des prix artificiels. La situation économique de l'Algérie est paradoxale, car elle est à la fois problématique et encourageante. Le problème est lié à l'incohérence dans la gestion de l'économie. Avec toutes les bonnes intentions, les différentes structures de l'Etat émettent des règles qui se contredisent et jettent le trouble chez les acteurs économiques. Les signes d'espoir se trouvent dans de nombreuses entreprises qui ont généré un modèle de gestion local. Les solutions seraient, entre autres, dans l'institution d'une structure de gestion décentralisée de l'économie, la liberté et la concertation avec les acteurs économiques principaux. Sans oublier la responsabilisation de tous les acteurs avec la multiplication des centres de réflexion et de développement des politiques à tous les niveaux, du Premier ministère au niveau régional.»