Réalité nouvelle dans une Algérie fraîchement libérale, le patronat se cherche encore une légitimité. Difficilement. Mais sans doute sûrement. Le patronat algérien est sur tous les fronts. Depuis l'élection de Ali Haddad à la tête du FCE, il ne se passe pas une seule journée sans qu'ils ne fassent parler d'eux. Bien qu'ils soient répartis sur plusieurs associations, leur présence sur le terrain est de plus en plus intensive et leur influence ne fait, visiblement, que s'accroître à tel point que, dans les milieux de la gauche, on leur colle des étiquettes d'oligarques. C'est le cas du Parti des travailleurs qui ne rate aucune occasion pour accuser le FCE et ses relais d'être «une oligarchie prédatrice» dont le seul but est de siphonner les richesses du pays, quitte à mettre à mort l'Etat.» Alors, les patrons algériens sont-ils des entrepreneurs en formation et en quête de légitimité sociale dans une société fortement conservatrice, égalitariste ou sont-ils réellement des oligarques? Selon Omar Aktouf, professeur de management à HEC Montréal, les patrons algériens portent un discours qu'ils ne peuvent pas mettre en application. Ils ne pensent qu'à leurs propres intérêts. «Il n'y a qu'à voir qu'au moment où le pays traverse une de ses pires crises, tout ce que trouve à faire notre milieu patronal privé (déjà largement engraissé par la collusion avec le pouvoir «propriétaire» de ce que j'appelle le «système Algérie») c'est de réclamer (et bien entendu obtenir, puisqu'il s'agit d'un jeu de donnant-donnant: le milieu patronal appuyant systématiquement ce pouvoir), une baisse de charges et des redevances», analyse-t-il. Autrement dit, Omar Aktouf prête aux patrons algériens, notamment privés, une capacité de se protéger, de faire pression sur les institutions de l'Etat et de les mettre à leur service. De plus, soupçonnant les patrons algériens de s'arrimer au système économique mondial d'essence ultralibérale et qui, selon lui, en faillite, il déclare sans barguigner que «les tares létales du capitalisme financier que notre patronat privé s'acharne à vouloir suivre, l'emportent désormais de façon systémique sur les «bienfaits» de l'aspect «productif» du capitalisme». Et pour répondre à la question de savoir pourquoi nos «élites» s'entêtent à prôner un tel système, il répond que «le système ultralibéral est le plus profitable pour... ceux qui en profitent». Et pour lui, «tant que l'acte d'importer-bricoler-revendre rapporte plus que l'acte de produire-innover, l'Algérie ne fera que s'enfoncer davantage dans le sous- développement, sinon sombrer, peut-être rapidement hélas, dans plus de chaos». A ce titre, l'auteur de La Stratégie de l'autruche prévoit une «mexicanisation» de l'Algérie, avec, à terme, l'émergence d'une pléiade «de Carlos Slim». Une «oligarchisation» en somme. Mourad Ouchichi, politologue et économiste très au fait de la réalité politico-économique du pays, relativise. «Oligarque, je trouve que le mot est fort car, malgré leur puissance, les patrons algériens restent toujours sous la coupe de ceux qui les ont promus ou du moins ont facilité leur ascension», constate-t-il d'emblée en réponse à notre question sur l'opportunité de qualifier les partisans de l'option libérale parmi les patrons algériens. De plus, ajoute M. Ouchichi, «les patrons algériens ne sont pas comme les milliardaires russes sous Boris Eltsine et ce, pour plusieurs raisons. D'une part, en Algérie, le poids du politique et son rôle déterminant est important. D'autre part, les patrons algériens, à quelques exceptions près, ont accumulé leurs richesses non pas par des activités productives mais en captant la rente que le régime distribue. Ils sont ancrés ou dans le circuit d'importation ou bénéficient des marchés publics». De fait, Mourad Ouchichi considère que cette situation de dépendance des patrons du politique fait d'eux une caste certes influente, mais fragile», ce qui bat nettement en brèche les allégations du Parti des travailleurs et des milieux conservateurs qui voient dans chaque émergence d'un entrepreneur privée une menace pour la morale publique, voire pour l'ordre public. Quel est donc le vrai statut des entrepreneurs algériens à l'aune de ces tiraillements entre «pro» et «anti»? «Parmi les patrons algériens, il y a les vrais qui investissent dans la production et qui essaient d'avancer contre vents et marées et il y a des rentiers. Les uns comme les autres ne sont pas assez puissants pour «privatiser l'Etat» comme le laissent entendre certains. Par contre, leur émergence récente répond à un impératif conjoncturel: la chute des prix du pétrole. En effet, le pouvoir, pour parer aux retombées de l'affaissement des prix du pétrole, est obligé de relancer l'économie nationale et il n'existe dans ce cas que les patrons qui peuvent jouer le rôle d'acteurs de développement», nous explique Samir Bellal, économiste de l'université de Boumerdès.