Des couches populaires déshéritées aux classes moyennes supérieures, des entrepreneurs aux chômeurs, des cadres des sociétés publiques aux agents de l'économie informelle, chaque groupe social s'interroge, avec espoir ou inquiétude, sur la répartition de cette manne financière. Il est vrai qu'avec un matelas de réserves en devises d'une épaisseur de $ 62 milliards, un Fonds de régulation des recettes qui affiche $ 22 milliards et un excédent commercial qui se chiffre à plus de $ 26 milliards, l'abondance de l'Etat rentier est d'autant plus exaltante et euphorique qu'elle intervient de façon inespérée après quinze années de crise financière, de coupes budgétaires et d'ajustement structurel. Aquelle politique économique a cependant servi l'afflux, continu depuis six ans, des revenus d'exportation des hydrocarbures ? A-t-on fait bon usage de l'argent du pétrole et du gaz ? Que (faut-il) faire des revenus de la rente ? Les pièges de l'Etat rentier Pour les officiels algériens, le bilan économique est positif sinon exceptionnel. En cinq ans, le programme suivi a permis d'impulser une croissance économique à 5%, de maîtriser l'inflation en dessous de 3% et de diviser le taux de chômage par deux, le ramenant – en l'espace de trois ans seulement – de 30 à 15%. Les réalisations effectuées par le gouvernement algérien durant ces cinq années ont de quoi impressionner : plus de 500 000 logements, plus de 700 infrastructures hospitalières, plus de 600 écoles primaires, plus de 280 lycées, plus de 450 centres de formation professionnelle, plus de 350 000 foyers raccordés au gaz, 5 grands barrages, 5000 forages, etc. « Ce qui s'est réalisé en cinq ans, l'Algérie ne l'a pas connu depuis les années 1970 », clame-t-on sur le ton de l'euphorie. Il faut pourtant savoir raison garder car l'économie algérienne demeure dangereusement fragile, dépendante d'une ressource tarissable et des fluctuations du marché pétrolier mondial sur lequel elle n'a aucune prise. Il faut pour s'en convaincre rappeler une donnée fondamentale de la balance commerciale : alors que les importations s'élèvent, pour l'année 2005 à 22 milliards de dollars, les exportations hors pétrole et gaz, elles, ne représentent, pour la même année, guère plus de 800 000 dollars, ne couvrant en l'espèce que 4% seulement des importations du pays en biens et services ! Ce n'est pas tout : la tendance n'est pas à la mise en place d'une économie productive de richesses (alternatives à la ressource pétrolière et gazière tarissable), mais dans le renforcement des capacités distributives de l'Etat rentier. Près de 76% des recettes budgétaires de l'Etat algérien en 2005 proviennent de la même source : la fiscalité pétrolière. Jamais auparavant l'Etat n'a été aussi financièrement autonome vis-à-vis de sa population ! Or tant qu'il bénéficiera de cette autonomie fiscale, le gouvernement aura tout loisir de reporter sine die l'impératif de l'imputabilité, l'obligation politique de rendre des comptes aux gouvernés. Deux exemples suffisent à mettre en évidence cette maldonne structurelle de l'économie algérienne. Entre 2001 et 2005, 36 milliards de dollars ont été affectés au Fonds de régulation des recettes sans la moindre inscription au budget, échappant de ce fait à toute possibilité de contrôle parlementaire. L'escroquerie du groupe Khalifa a causé au Trésor public un préjudice financier de 7 milliards de dollars sans pour autant provoquer la moindre enquête parlementaire pour tenter d'élucider le mode opératoire et les responsables de ce crime économique. Or, bien loin de se limiter à cette sombre affaire, la corruption continuera à prospérer aussi longtemps que durera la colonisation de l'Etat par les pratiques de patronage, de prédation et d'arbitraire. Conscient de l'extrême acuité de ces enjeux et de l'urgence d'ouvrir un débat libre et public sur la question de la rente, le forum de la pensée critique Les Débats d'El Watan s'est résolu à en faire le thème de sa rentrée. Pour nourrir ce débat, qui se tiendra aujourd'hui entre 14h00 et 18h 00 au Grand Hôtel Mercure d'Alger, le forum a jugé utile de solliciter l'analyse de trois spécialistes bien connus : Ahmed Benbitour, Hocine Benissad et Abderrahmane Hadj Nacer.