Certains rassurent, et d'autres parlent de reports et de gels. Ce sont en résumé les réactions des pouvoirs publics face aux inquiétudes suscitées par les incertitudes économiques. Si durant les années fastes le temps était à l'annonce des projets de grande envergure dont certains n'ont pas encore été achevés, la tendance s'est inversée aujourd'hui. Le temps est aux ajournements, avec comme argument le rétrécissement des ressources financières. Cependant, les tergiversations et les contradictions ne manquent pas à ce sujet. Les responsables sectoriels semblent loin d'être sur la même longueur d'onde. Dans certains cas, ils parlent de difficultés pour mener à bon port les chantiers, alors que dans d'autres cas ils éloignent le spectre de la crise. «Mon secteur ne sera pas touché par les mesures d'austérité». Cette déclaration revient à maintes reprises dans la bouche des ministres (santé, agriculture, Ressources en eau…). Parfois, dans le même secteur, le ministre évoque le maintien et le soutien de certains projets, alors qu'un autre responsable évoque le ralentissement de ces mêmes projets. A titre illustratif, la semaine dernière le ministre de l'Energie, Salah Khebri, a réaffirmé le soutien du gouvernement aux investissements dans les énergies renouvelables. De son côté, le PDG de Sonelgaz a laissé entendre que ces projets seront ralentis faute de moyens financiers. Tout au long de ces derniers mois, particulièrement depuis l'annonce du plan anti-crise en décembre 2015 par le Premier ministre Abdelmalek Sellal à ce sujet, les déclarations sur les mesures à appliquer face à la dégradation de la situation économique se sont multipliées. Elles ont eu essentiellement trait au report d'un bon nombre de projets. Les projets à reporter non encore listés «Pour 2015, les recrutements dans la Fonction publique, tous secteurs confondus, seront gelés. Les grands projets qui ne revêtent pas un caractère urgent, à l'exemple des chantiers du tramway et du transport ferroviaire seront reportés. Désormais, les grands projets ne seront plus financés par l'Etat, mais leur réalisation se fera via des financements bancaires. Nous allons changer le mode de financement», avait déclaré Abdelmalek Sellal. Mais, jusqu'à aujourd'hui, aucune liste exhaustive n'a été élaborée à cet effet, surtout rien de nouveau en ce qui concerne le mode de financement à adopter pour les grands projets. Les représentants du gouvernement se sont contentés d'évoquer à chaque fois que l'occasion leur est donnée le report de certains projets non urgents et la réduction du budget de fonctionnement sans aller dans le détail. Neuf mois plus tard, Sellal a assuré, lors de la réunion avec les 48 walis en août dernier, que les projets de santé, d'éducation et du logement ne seront pas touchés. Mais qu'en est-il au juste aujourd'hui ? Pas de réponses claires. Le gouvernement continue de plaider pour la rationalisation et une meilleure gestion des dépenses pour éviter de parler austérité alors que les citoyens attendent des détails. Ce qu'ils appréhendent le plus, c'est le retard dans le développement social (réalisation des programmes de logements, branchement à l'eau potable ou au réseau d'assainissement, construction de structures sanitaires, désenclavement…). Un retard qui risque de creuser les écarts régionaux. Et dire que les urgences sont bien connues. Problème de gouvernance «Il aurait fallu d'abord situer les urgences avant le lancement des projets et non pas attendre que la crise s'installe pour commencer à trier», estiment les experts approchés à ce sujet. Tout en parlant de pilotage inadapté des politiques publiques, ces derniers soulignent que la rationalisation des dépenses budgétaires ne nécessite pas forcément le report des projets. «Il ne s'agit certainement pas, au vu des enseignements de l'expérience, de s'engager dans un plan d'austérité et de freiner les investissements productifs et les projets de développement du pays, même s'il faudrait procéder à une indispensable rationalisation des dépenses budgétaire», nous dira sur cette question l'économiste Kouider Boutaleb. Pour sa part, Larbi Sarrab, consultant financier, relève dans l'attitude des décideurs face à la crise un problème de gouvernance. «L'énorme problème réside dans la gestion des finances publiques. Ces dernières sont à prévoir en fonction des besoins à satisfaire et de nos possibilités financières. Par cette méthode, nous prévoyons un budget d'équipement et un budget de fonctionnement, tous deux devant correspondre aux besoins à satisfaire», notera-t-il. Et de poursuivre : «Mais nos gouvernants prévoient des dépenses publiques non pas en fonction des besoins de la collectivité à satisfaire, mais en fonction des recettes pouvant être encaissées. C'est ce qui se passe en l'absence de projet de société». «Cela est illustré dans la méthode d'élaboration de nos lois de finances», précisera-t-il. Comment ? «On commence par demander à la Direction générale des impôts de présenter une estimation des recettes pouvant être réalisées. Ensuite, chaque wilaya et chaque ministère dépensiers présentent leurs besoins budgétaires. Sur cette base, des arbitrages sont opérés, non pas pour des objectifs à atteindre, mais pour contenter au mieux tout le monde qui est composé d'institutions dotées de l'autonomie financière», nous expliquera M. Sarrab qui résumera dans le même sillage : «C'est ce qui explique les incohérences et les tergiversations des uns et des autres par rapport aux projets à programmer». Des incohérences qui ne datent pas d'aujourd'hui. Et dire qu'il y a lieu de répondre aux impératifs imposés par l'actuelle crise.