Retrouvé sans vie quatre jours après son kidnapping, Miloud, 14 ans, avait été séquestré par ses ravisseurs à quelques mètres seulement de chez lui. Sa famille dénonce le laisser-aller des autorités, qu'elle accuse de ne pas en avoir fait assez pour retrouver son enfant. «Aucune autorité n'a bougé le petit doigt pour retrouver mon frère Miloud, qui pourtant était séquestré à quelques mètres de notre bâtiment, et ce, pendant quatre jours.» Mohamed Chaïbi, 25 ans, les traits marqués et le dos déjà courbé, ne parvient pas à se remettre de l'impensable. Son petit frère, Miloud, kidnappé le 26 décembre dernier, a été violé et tué par ses ravisseurs. Son corps sans vie a été retrouvé quatre jours plus tard dans un sac de semoule, jeté au milieu des ordures. Mohamed est toujours sous le choc. «J'étais comme son père. Je l'adorais et je continue à l'aimer malgré son absence. Je n'arrive pas à croire qu'il n'est plus de ce monde.» Ben Badis, à 45 km au sud-ouest de Sidi Bel Abbès, n'est ni une ville ni un village. C'est une daïra de 40 000 habitants où règnent la misère et la saleté au milieu de bâtiments en ruine. Du drame, les habitants ne s'en sont toujours pas remis. Youcef, photographe, natif de la région, avoue qu'ici, les gens «se croyaient à l'abri des kidnappings d'enfants». «Il a fallu que cela nous arrive pour que nous puissions réellement prendre conscience de l'horreur du phénomène. Nous avons l'habitude d'entendre ce genre d'histoire arriver ailleurs, mais nous n'avions jamais pensé que cela puisse arriver chez nous.» Calvaire Au quatrième étage d'un immeuble précaire au centre de la daïra, vit la famille de Miloud. Dans leur appartement, seule une banquette et des matelas posés par terre meublent le salon. Trois garçons et une fille. Mohamed raconte son calvaire et dénonce la bureaucratie des administrations locales dont sa famille a été victime. «Je suis allé le soir même signaler la disparition de Miloud à la police qui m'a demandé de revenir le lendemain muni de son extrait de naissance et de sa photo. Ce que j'ai fait. Le lendemain, le policier qui m'a accueilli a exigé la présence de mon père, alors que la veille personne ne me l'avait demandé, raconte-t-il. Je suis revenu le soir et là, le policier qui était de garde m'a envoyé balader. J'ai donc décidé d'aller me plaindre, au troisième jour de sa disparition, auprès du procureur de la République qui n'a pas accepté de me recevoir. Je ne vous cache pas que sa réaction m'a mis dans tous mes états, car je ne comprenais pas comment ils pouvaient tous rester insensibles à notre requête.» Pendant ce temps, Miloud vivait l'enfer, enfermé dans une boutique du marché. Ce marché ouvert 1998 a, depuis, été occupé par «des gens de l'extérieur», comme on dit ici pour qualifier ceux qui ne sont pas de la région. Les trois frères qui auraient participé à sa séquestration font partie de ces nouveaux arrivants. Mais c'est ce lieu malfamé, dont les habitants réclament la fermeture depuis longtemps, que la police aurait dû fouiller en priorité, si les recherches avaient été lancées à temps. «En trois jours, aucun avis de recherche n'a été lancé. Je me suis disputé avec les agents de la cour qui ne voulaient même pas que ma mère rencontre le procureur. Ce dernier a instruit la police de m'interpeller pour ‘‘outrage à corps constitué'' ! J'ai failli me faire embarquer. Heureusement que les administrateurs de la cour sont intervenus pour leur expliquer notre histoire. Mais aucune recherche n'a été entamée. Résultat : mon frère a été assassiné le lendemain, au quatrième jour de sa détention, alors qu'il se trouvait à seulement quelques mètres de chez nous.» Mandat de dépôt Mohamed ne sait plus quoi faire pour consoler sa mère. «Miloud a décroché un tableau d'honneur au dernier trimestre de l'année dernière», raconte-t-elle avant de fondre en larmes. Son fils, en 2e année au CEM, était «doux et ne posait de problème à personne». Son père, Cheikh, 57 ans, menuisier au chômage, révèle que Miloud l'aidait beaucoup dans son travail. Les yeux cernés, brisé par l'émotion, il a du mal à trouver ses mots et se sent responsable de la situation financière de sa famille. «Il a appris le métier à l'âge de 5 ans. Parfois, il s'endormait dans l'atelier et je le portais jusqu'à la maison», témoigne-t-il. Les quatre présumés ravisseurs ont été interpellés par la police et placés sous mandat de dépôt le lendemain. L'un d'eux, M. M., 25 ans, habite à moins de 300 mètres des Chaïbi. Les trois autres, des frères, dont l'âge varie entre 21 et 25 ans, sont originaires, selon les habitants, de Sidi Ali Boussidi, ex-Bermati, une daïra voisine de Ben Badis. Miloud a été retrouvé les mains liées aux pieds, devant un magasin à 200 mètres de chez lui. Il avait disparu après être sorti vers 17h. Quand à 20h, il n'est pas rentré, ils ont tout de suite pensé à un kidnapping. Selon les témoignages recueillis sur place, l'objectif des ravisseurs était «de réduire le volume du sac dans lequel ils ont placé leur victime pour éviter d'attirer l'attention des passagers». Un agent de la commune qui était sur place témoigne : «C'est le propriétaire d'un magasin qui a signalé le corps. Il avait aperçu le sac un jour plus tôt mais à aucun moment il n'avait pensé que c'était la dépouille de l'enfant. Je pense que les ravisseurs voulaient tromper les éboueurs et espéraient que ces derniers le récupéreraient et le jetteraient à la décharge publique.» Encore plus choquant : selon les habitants de Ben Badis, le jeune M. M. a «participé à toutes les manifestations organisées pendant les quatre jours de séquestration de l'enfant». Il a même «réclamé aux côtés des autres que justice soit rendue à la famille de la victime» et a poussé le culot jusqu'à assister à l'enterrement de Miloud, où il a «jeté quelques pelles de terre sur le corps de l'enfant». Selon les mêmes personnes, «M. M. a non seulement violé le petit Miloud, mais a aussi acheté la corde et la couverture avec lesquelles il a étranglé sa victime !» Honte Cheikh, le père de Miloud, affirme qu'il ne nourrit aucune haine contre la famille du bourreau, dont il connaît le père. «C'est une famille pauvre tout comme la nôtre. Je n'en veux aucunement à sa famille. Son père a d'ailleurs quitté la région. Ses proches m'ont dit qu'il ne pouvait pas supporter la honte», explique-t-il. Dans la famille de Miloud, seul Mohamed «bricole» pour subvenir aux besoins de ses parents. Les voisins racontent que le jour de la découverte du corps de Miloud, sa famille n'avait même pas l'électricité pour pouvoir accueillir les gens. Mohamed ne pouvait plus payer les dizaines de factures entassées sous son matelas qu'il étend à la cuisine pour dormir. Miloud, lui, occupe le couloir près du salon. «Il a fallu qu'on cotise dans le quartier pour qu'on leur paye la facture. C'est terrible ce que vit cette famille», avoue Habib Addel, militant associatif à Ben Badis. Comme pour essayer de comprendre l'incompréhensible, en ville, les discussions reviennent sans cesse sur les raisons qui ont poussé à de telles horreurs. «Le manque d'éducation» ou «le manque de foi et d'application des préceptes de la religion». Mais l'oncle aîné de Miloud, lui, pense que le problème est d'ordre politique. «J'accuse le système politique qui a failli à ses missions, lance-t-il avec colère. Les seize ans du règne de Bouteflika ont mené à la clochardisation et à la division du peuple. Le pouvoir politique aime bien nous voir nous entretuer au moment où il dilapide l'argent du peuple. Nous voulons un Etat qui respecte ses citoyens et qui les valorise et non le contraire.» Tests ADN La famille de Miloud a reçu mercredi dernier les camarades de leur enfant qui ont tenu à lui rendre un dernier hommage. Son père, Cheikh, espère tout simplement que la justice «se montre juste» et que les responsables soient punis. Un agent de la commune et militant qui s'est mobilisé auprès de la famille raconte avoir «perdu son travail» : selon lui, le maire lui aurait reproché le fait qu'il ait dénoncé son «immobilisme» devant les caméras. Quant à Mohamed, il demande «l'ouverture d'une enquête par une commission des droits de l'homme indépendante et souhaite que le ministre de l'Intérieur, Noureddine Bedoui, fasse de même». Selon la famille, les tests d'ADN effectués ont révélé la présence de trois autres personnes qui auraient participé aussi au viol de l'enfant.