La petite Tunisie va-t-elle être encore un exemple pour le Monde arabe, voire musulman ? Sans trop de dégâts, elle a réussi à se débarrasser de la dictature du clan de Zine El Abidine Ben Ali et de celle de sa femme, une corrompue comme il est rare d'en créer, après la mort d'un jeune à Sidi Bouzid, laquelle s'est transformée en étincelle pour une véritable révolution démocratique. En effet, le parti islamiste Ennahdha tient son congrès attendu depuis 2012. Rien d'anormal jusque-là. Sauf que son leader, le redoutable Mohamed Ghannouchi, a lâché une véritable bombe devant les congressistes en proposant la dissociation entre l'islam et la politique. C'est la première fois que l'on entend un tel discours chez un parti membre de l'association internationale des Frères musulmans pour lesquels la finalité de leur combat est la création d'un Etat régi pour la charia. Un programme politique marqué par l'intolérance et le rejet de tout ce qui n'est pas musulman, c'est-à-dire surtout les chrétiens et les juifs. Ghannouchi est connu pour être un intellectuel extrêmement brillant et un inégalable animal politique. Mais c'est surtout un grand pragmatique. Après la chute de Ben Ali, les islamistes d'Ennahdha ont bataillé dur pour imposer leur point de vue lors des débats de la Constituante. Mais leur chef a fini par comprendre, face aux réticences, que la société tunisienne n'était pas du tout prête pour une République islamiste et qu'elle avait surtout un penchant pour la laïcité, un héritage légué par Habib Bourguiba, un des rares dirigeants arabes qui a compris ce que modernité veut dire. Ghannouchi n'a pas cherché à faire des vagues quand il s'agissait, par exemple, de créer le gouvernement post-révolutionnaire. Il n'a même pas voulu jouer à l'opposant politique et s'est transformé en ambassadeur de la Tunisie pour plaider la cause de son pays durement frappé par la chute des revenus touristiques, avec pour conséquence une grave crise économique dans laquelle il se débat toujours et qui pourrait faciliter le développement du terrorisme avec, à côté, une Libye éclatée et dont une partie est sous le contrôle de Daech. C'est donc dans un climat extrêmement délétère qu'Ennahdha a choisi de tenir ses assises. Incontestablement, la sortie de Ghannouchi ne fera pas plaisir à sa base qui a cependant pour habitude d'obéir au chef, quoi qu'il dise ou qu'il fasse. Ce leader semble vouloir engager son parti dans une voie qui s'apparente à celle de la démocratie chrétienne européenne. Ruse politique ou volonté sincère de s'éloigner d'un islamisme qui a plongé le monde musulman dans l'aventurisme et la violence ? Il connaît très bien son peuple, surtout dans sa composante féminine et celle-ci, toujours grâce à Bourguiba, a reçu une culture telle qu'elle n'est pas près de se plier devant le machisme des islamistes. Ghannouchi a lancé un défi. Il est trop fin pour agir à la légère. Tout ce qui peut sortir l'islam du salafisme et de son avatar, le wahhabisme, ne peut être que bienvenu.