En Irak, la guerre confessionnelle a pris place et a détrôné toute autre ambition, qu'elle soit d'inspiration américaine ou de conception autonome irakienne. Les chiites ont mis le pied à l'étrier et ne semblent point vouloir s'arrêter à la reconquête de l'Irak. Partout, dans le monde musulman, du moins au Moyen-Orient, souffle un vent d'hégémonie chiite. Dans la dernière conférence islamique de Doha, Al-Qaradaoui dénonce “les tentatives iraniennes de convertir les sunnites au chiisme dans plusieurs pays sunnites”. En effet, la théocratie chiite iranienne est impliquée dans la guerre civile irako-irakienne et suscite visiblement des mouvements de prosélytisme dans certains pays. Or, c'est le wahhabisme, dont le salafisme représenté par Al-Qaradaoui n'est qu'une variante, qui a inauguré, au XIIIe siècle déjà, la démarche conquérante sectaire. Contrairement à l'autre variante, le djihadisme, le salafisme est dirigé par des “savants” qui savent être prudents quand il s'agit d'assumer la violence sous-tendue par leur doctrine. Ils ont formé, entre autres, les talibans. En Egypte, les Frères musulmans ont été dressés pour combattre la laïcisation de l'Etat entreprise par Nasser. C'est justement cette “théologisation” de la politique dans les pays musulmans qui est à l'origine des beaux jours des avatars confessionnels. La démission des dirigeants politiques, convaincus qu'ils étaient, presque partout dans le monde arabe du désintérêt des cheikhs et imams pour le pouvoir politique a permis la substitution du débat confessionnel au débat politique. Au demeurant inexistant, ce débat politique n'a que rarement été défendu par les sociétés civiles, elles-mêmes timorées ou “clientélisées”. L'éviction de la religion du débat et de la concurrence politique n'ayant nulle part été osée que par des dictatures, nassériste ou baathiste. À leur affaiblissement ou à leur chute, c'est l'islam politique qui prend la relève et poursuit le pouvoir, tout en réglant ses contentieux doctrinaux. En même temps qu'elles se transforment en forces politiques, elles s'organisent, là où c'est possible, en forces militaires. Les forces démocratiques, contenues par la répression des dictatures laïques comme par celles qui se sont idéologiquement converties pour s'assurer la connivence islamiste, ne sont pas en état de prétendre à la gestion des éventuelles transitions postdictatoriales. La laïcité, diabolisée comme idée antireligieuse, sert les stratégies des conservatismes populistes comme celles des ambitions théocratiques. Voilà donc les peuples invités à prendre parti, sous prétexte d'appartenir au monde musulman, dans une confrontation confessionnelle. Entre Khamenei et Al-Qaradaoui ; entre la république théocratique de Téhéran et la royauté théocratique de Riyad. Ce piège existait, et l'Algérie en a fait les frais sanglants. Ce qui est nouveau, c'est qu'à partir de Bagdad, il tend à se généraliser. C'est le motif de la reprise des sommets partiels qui se programment un peu partout dans le monde arabo-musulman. On devra laisser derrière nous l'idéal démocratique pour nous imposer un combat d'un autre temps. M. H. [email protected]