Deux universitaires installés au Canada ont débattu de la problématique de l'enseignement de la langue amazighe, indissociable de la problématique identitaire. Quelle école et quelles pratiques d'enseignement privilégier dans nos classes pour faire face aux mutations sociales et culturelles et donner à la langue amazighe toutes ses chances d'émancipation ?» Telle est, grosso modo, la problématique examinée lors de la conférence-débat animée, vendredi passé, à Akfadou, par Rachid Benguenane et Malika Bennani, deux universitaires installés au Canada. Organisée sur initiative du Conseil communal des jeunes d'Akfadou (CCJA), récemment créé, cette manifestation a permis à l'assistance, composée essentiellement d'enseignants, d'acteurs du monde culturel et politique, de prendre connaissance sur ce qui se fait, notamment au Canada, en termes d'éducation. Mokrane Gacem, de BRTV, et Oudjedi Khellaf, ex-parolier du groupe Akfadou, les deux modérateurs de la rencontre, après avoir présenté les deux communicants, ont, de concert, en guise d'introduction, exprimé leur vœu de voir dans un avenir proche tamazight devenir langue d'enseignement. «Il ne suffit plus d'enseigner le tamazight, il faut enseigner en tamazight» plaident-ils. Prenant la parole, Rachid Benguenane, après un bref exposé sur la fondation Tiregwa, dont il est membre, a insisté principalement sur la nécessité de déployer tous les efforts pour préserver l'identité amazighe du naufrage et sur l'importance de se mettre au diapason des exigences du monde moderne dans notre politique d'éducation. «Seuls ceux qui ne souffrent pas de troubles identitaires réussissent dans leur vie et peuvent développer leur pays. A l'étranger, ceux qui réussissent à s'intégrer sont ceux-là mêmes qui vivent pleinement leur identité» indique-t-il. «Tout est lié à l'identité. Regardez les pays, où le problème identitaire est évacué, où l'on ne souffre pas d'acculturation, ces pays réussissent facilement à relever tous les défis liés au développement», ajoute-t-il. «C'est à l'école que tout se joue. On ne doit pas laisser nos écoles à des charlatans spécialisés dans le formatage des esprits. L'école doit être un lieu de réconciliation avec son identité, un outil d'émancipation citoyenne et d'ouverture sur le monde», souligne le conférencier. Il s'élève, dans ce cadre, contre le coup de force des autorités qui ont poussé Ahmed Amrioui de Aït Yahia Moussa à fermer son école privée Axxam n'tmusni, précisément parce qu'elle fait appel à des pratiques d'enseignement novatrices où la langue maternelle joue un rôle primordial. «La mouche au plafond» Ayant expérimenté en 2003, avec Danielle et Jean-Claude Boyer, une technique pédagogique pour enseigner les coordonnées cartésiennes à des enfants de 6 ans, Malika Bennani, dans sa communication intitulée «L'enseignement des mathématiques en langue maternelle à travers l'intégration des matières», a longuement expliqué l'importance de la pédagogie de l'intégration dans les pratiques de classe. «Tout a démarré, affirme-t-elle, d'un petit livre pour enfants écrit en anglais et qu'on a traduit en français, La Mouche au plafond. Ce livre illustré raconte l'histoire de René Descartes et de sa fameuse mouche qui lui a inspiré ses célèbres coordonnées pour situer un point dans l'espace». Ce petit livre d'apparence anodine a servi à expérimenter une pratique de classe (l'approche intégrative) qui a donné des résultats inespérés, laisse-t-elle entendre. Etudié dans une classe du primaire au Canada, avec comme objectif principal la maîtrise du plan cartésien par les enfants, cette petite histoire permet, selon la conférencière, des activités de lecture, de compréhension, d'expression orale, de géographie, d'histoire, de dessin, de travaux manuels…. Le succès de cette expérience a poussé ses promoteurs à traduire le petit livre en tamazight, Izi deg sqef, et à envisager la promotion de cette méthode dans l'enseignement en tamazight. «Nous voulons les meilleures méthodes pour l'enseignement de tamazight», soutiennent les hôtes d'Akfadou. «La pédagogie de l'intégration a fait ses preuves en Amérique et au Canada, il faut l'appliquer chez nous. Car c'est une pratique pédagogique interactive, qui fait de l'élève l'acteur de son propre apprentissage», souligne Malika Bennani. «Il faut en finir avec le cloisonnement disciplinaire dans nos pratiques de classe, il faut privilégier la pédagogie de l'intégration car elle permet de réconcilier l'enfant avec l'école», insiste la conférencière, en concluant par la lecture de la célèbre Lettre à Mohand Azwaw de Mouloud Mammeri. Ghilas et Azzedine Ithran du CCJA, qui se sont confiés à El Watan, ont tenu à remercier tous ceux qui leur ont prêté main-forte pour la réussite de cet événement et promettent de redoubler d'efforts pour donner au secteur de la jeunesse toute son importance.