Le dernier film de Damien Ounouri, Kindil el Bahr, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs au dernier Festival de Cannes, fera l'ouverture du Festival du film arabe d'Oran samedi à 11h. Rencontre avec l'actrice principale du film. - On a envie d'en savoir un peu plus sur les secrets de maquillage et d'effets spéciaux qui vous ont rendue méduse... Dans le scénario d'origine, nous avions imaginé la créature avec des tentacules. Mais lors des tests avec le réalisateur, on s'est aperçu que ça ne marchait pas et que peut-être, on avait besoin de quelque chose de moins démonstratif et de plus glaçant. Alors on a repensé la créature pour la simplifier. Comme on voulait lui donner un pouvoir, on a réfléchi autour de son nom Kindil el bahr, la lanterne de la mer. Nous n'avions pas d'autre choix que de simplifier, car le tournage en mer impose des contraintes qui n'existent pas sur terre. Dans l'eau, par exemple, les prothèses ne tiennent pas. Pour rendre la transformation plus facile, je me suis épilée intégralement les sourcils. Dans les scènes où j'évolue sous l'eau sur le sable, il a fallu me lester avec une ceinture de 8 kilos pour que je ne remonte pas à la surface ! La maquilleuse avait aussi beaucoup de difficultés, à la fin du tournage, à me pâlir la peau, car en restant dans l'eau plusieurs semaines et plusieurs heures par jour, j'avais beaucoup bronzé. - Dans le film, on s'aperçoit que la créature appartient à une légende connue de tous. De qui/quoi vous êtes-vous inspirés ? Kindil est un film de genre mais au départ, nous n'avions pas spécialement envie de faire un film de genre. On voulait juste continuer une histoire à laquelle on tenait, celle de ce couple. Et on avait envie de poursuivre leur cheminement en parallèle : que devient leur couple après la mort ? Nous n'avons pas fait de recherches spéciales, on est juste allés voir la statue de la Gorgone de Annaba et puis on s'est laissés influencer par les histoires autour de nous. Celle des Chenoua, par exemple, on a entendu parler d'une légende, celle d'une femme partie vivre dans la mer. - Vous avez évoqué les difficultés techniques du tournage. Est-ce que, à l'image d'autres réalisateurs algériens, vous avez aussi rencontré des obstacles pour passer de l'écriture à la réalisation ? Oui, bien sûr, parce qu'il est très compliqué de trouver des financements. Dans le cas de Kindil, nous avons commencé à tourner sans argent. Ce n'est qu'après que nous avons déposé un dossier au Fonds de développement de l'art, de la technique et de l'industrie cinématographiques (Fdatic) qui a accepté d'aider le film. Et puis, il faut dire ce qui est dans les réseaux de financements attribués aux pays du Sud, les budgets sont réduits parce qu'on considère que dans ces pays-là, on fait plutôt des films réalistes, contemporains. Or pour un film de genre, il faut beaucoup d'argent. Avec Damien (Ounouri, co-scénariste et réalisateur de Kindil el bahr, ndlr), on est en train de travailler sur l'écriture de deux longs métrages dont un qui se déroule au XVIe siècle, et qui sera forcément un peu coûteux. - Kindil est un film de genre, mais c'est aussi un film très actuel, sur la pression sociale, les relations homme-femme. Oui, d'ailleurs, nous tenions en particulier à traiter la question du tabou. Les choses entre les personnages ne sont pas expliquées, c'est comme ça. Quand nous avons commencé à écrire, l'actualité a été marquée par le lynchage d'une Afghane dans la rue. J'ai regardé la vidéo pour essayer de m'identifier à elle mais aussi à ses agresseurs. Je voulais comprendre pourquoi à un moment donné on bascule dans l'horreur. Je pense que les artistes, comme les politiques ou les citoyens, doivent questionner ce genre de choses pour que, justement, elles ne deviennent pas des tabous. J'aimerais beaucoup rencontrer la comédienne afghane qui a choisi, quelques mois plus tard, de reconstituer la scène de lynchage dans la rue. - Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru depuis le Théâtre de printemps qui vous a médiatisée pour la première fois, en 2008 ? Il y a eu beaucoup de travail, beaucoup de fatigue et aussi de nombreuses amitiés. A l'époque, j'avais 22 ans et je ne me rendais pas du tout compte de ce que j'entreprenais. Nous étions un groupe de copains, nous avions 20 ans et nous n'avions pas envie de nous ennuyer. On a décidé de monter nos projets, de prendre notre destin en main sans attendre qu'on nous propose des choses. Les années Khalida Toumi ont été terribles pour nous, qui avions entre 20 et 30 ans. On nous a mis tellement de bâtons dans les roues, alors que l'on voulait juste prouver qu'on savait faire des choses ! Tout ce que nous proposions se heurtait à des refus. On avait l'impression d'être des poussins qui allaient crever dans l'œuf. Depuis cette époque, on avance, doucement. Forcément, avec les films réalisés, la présence dans les festivals, les prix, la médiatisation, maintenant, on doit un peu compter avec nous. Après, je me rends compte aussi que je ne me suis pas vraiment occupée de ma carrière de comédienne. J'ai été approchée par un agent mais finalement je n'ai pas donné suite. Je n'ai pas participé à des castings non plus. Faire un film, c'est tellement de luttes que je n'ai pas eu le temps. - Des trajectoires de comédienne comme la vôtre, en Algérie, il n'y en a pas beaucoup. Que vous vous démarquiez suscite, dans le cinéma comme ailleurs, beaucoup de critiques. Comment vivez-vous avec ? Les gens qui viennent vers moi sont en général des gens bienveillants qui aiment mon travail. Ceux qui me critiquent ne viennent pas vers moi, donc je ne sais pas trop quoi en penser. D'autant que ce n'est pas mon mode de fonctionnement. Je construis ma dynamique dans l'empathie, avec des «pour», et pas avec des «contre». Certains, je le sais, ont voulu minimiser la présence de Kindil à Cannes. Or, la Quinzaine des réalisateurs, dans le cadre de laquelle Kindil a été présenté comme un court-métrage, n'est pas un «off», c'est un événement institutionnalisé dans le festival qui a révélé des réalisateurs comme George Lucas, Xavier Nolan, Arnaud Desplechin, etc. Et Kindil a été sélectionné parmi 1700 films ! Je suis désolée, mais non, ce n'est pas rien. - Comment le film a-t-il été accueilli par le public ? Le film a clôturé la programmation, c'était un moment particulier. Dans la salle, on a senti les réactions des gens. Quand la scène du lynchage s'est terminée, on a entendu des soupirs de soulagement. Devant d'autres scènes, de la surprise. A la fin, ils sont venus vers nous pour nous dire leur étonnement et ils étaient plutôt enthousiastes.