L'équipe d'El Medreb a investi, du 14 au 22 septembre, deux hangars au Hamma pour une rafraîchissante parenthèse de créativités artistiques et d'échanges dans ce quartier algérois au riche passé et à l'avenir incertain... Situé au cœur de la capitale, El Hamma est un quartier riche en structures industrielles majoritairement abandonnées, pour la plupart d'anciennes manufactures et dépôts du début du XXe siècle. A l'image d'autres quartiers populaires d'Alger, El Hamma se vide progressivement de ses habitants relogés en masse dans les cités nouvellement construites dans la grande périphérie. Reste l'attachement à la mémoire des lieux. «Je connais une vieille dame du quartier, relogée à Birtouta, qui paie 700 DA de taxi pour venir chaque semaine faire ses courses ici», raconte un jeune du quartier. En outre, El Hamma est porteur d'un passé marqué par le combat pour l'indépendance algérienne mais aussi par les luttes syndicales et citoyennes. Bref, un authentique quartier populaire dont les habitants, en grande partie des jeunes, appréhendent la transformation imminente précédée d'effondrements réguliers de maisons ou d'immeubles. Une transformation où ils n'auront pas forcément leur place. C'est dans ce contexte que s'est incrusté El Medreb. A l'origine de l'initiative, quatre jeunes filles motivées à bloc qui ont su mener leur projet à terme malgré les incompréhensions et les blocages administratifs. Wardia Hamadi, Myriam Amroun, Ikram Hamdi Mansour et Annalissa Cannito. Elles sont membres du collectif Transcultural dialogues qui avait organisé le Festival Dj'art à Alger en 2014. «On travaille dans une gestion horizontale. Chacun apporte ses compétences et on se départage les tâches. Petit à petit, des amis, des artistes et des habitants du quartier nous ont prêté main-forte», explique Myriam Amroun. L'association Sidra, basée à Belouizdad, a d'ailleurs accompagné le projet à différents niveaux. Le hangar A, situé à quelques mètres de la sortie du métro, est un ancien garage de l'Etusa transformé en espace d'exposition grandeur nature par une cohorte de graffeurs armés de bombes de peinture et d'une débordante créativité. Actuellement propriété de l'APC de Belouizdad, ce hangar avait abrité auparavant les ateliers de réparation navale de l'Erenav ainsi que l'entreprise de déménagement Bedel. Avant de passer à l'action, les artistes ont été sensibilisés au passé des lieux et à la stratification historique et culturelle qui se devine derrière les façades décrépites d'El Hamma. Myriam Zeggat a, par exemple, puisé son inspiration de l'ancienne usine de pastis Cristal Liminana, tandis que d'autres se sont inspirés de récits urbains collectés par l'équipe d'El Medreb en amont de l'intervention. Les artistes participants sont pour la plupart déjà actifs dans la mouvance street-art. C'est le cas de Sneak et LMNT qui excellent dans le «calligrafiti» réactivant les signes du passé dans une démarche nourrie de liberté. Sortis des Beaux-Arts, El Panchow et Serdas ont également bifurqué avec succès vers l'art de rue. Les initiateurs d'El Medreb présentent le projet comme une recherche et non comme une simple activité culturelle. Deux d'entre elles sont d'ailleurs fraîchement diplômées de l'école d'architecture. «A l'EPAU, on a travaillé sur la transformation des friches mais ça restait des plans sur papier. La réalisation du projet demande, quant à elle, des compétences qu'on n'acquiert pas à l'école. Il faut expliquer sans cesse la démarche et argumenter auprès des différents partenaires. Généralement, les friches, on pense plutôt à les détruire pas à les réinvestir», explique Ikram Hamdi Mansour. «Notre recherche consiste à ré-imaginer l'espace public. Un hangar peut aussi devenir un espace public. On a par exemple reçu des rappeurs du quartier qui souhaitent profiter de ce lieu pour répéter. Ils aimeraient l'investir à long terme. Après, le lieu appartient à l'APC et la décision lui revient», renchérit Wardia Hamadi. Le talentueux photographe Nadji Bouznad a également rejoint le projet, participant à la recherche d'un espace pour El Medreb en plus de son activité de photographe : «L'idée de travailler sur le terrain pour explorer la mémoire collective correspondait tout à fait à ma démarche. J'ai donc rejoint spontanément le groupe. On allait à la rencontre des gens tout simplement. C'est une aventure humaine et c'est l'humain qui fait El Medreb (le lieu). Je me suis donc focalisé sur l'humain. Il ne s'agit pas juste de prendre des photos en passant mais d'expliquer le projet et de travailler avec la collaboration des habitants.» Le résultat est une belle série de photos capturant la vie du quartier. Une expo a été improvisée dans un bus réformé trouvé au hangar B. Ce lieu, prêté par l'OGEBC (Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels), a eu plusieurs fonctions par le passé. Ses différentes affectations dessinent en filigrane les transformations politiques et économiques du pays, de la période coloniale à nos jours. Initialement occupé par Nestlé, il a ensuite servi de dépôt pour le défunt Office national algérien de commercialisation (Onaco) puis pour une célèbre marque américaine de sodas. Le hangar B a abrité des projections cinématographiques qui sont «un clin d'œil aux multiples salles de cinéma qui se trouvaient dans le quartier, à l'image du Musset ou du Roxy…», précise Ikram. Le choix des films est également centré sur la thématique de l'espace urbain et de ses transformations. Entre le court métrage Passage à niveau, d'Anis Djaad, qui explore la poétique de la gare ferroviaire, Chantier A, de Sami Tarek, Lucie Dèche et Djamel Loualich, qui met en scène le retour aux sources d'un émigré ou encore le petit bijou de Hassen Ferhani Fi rassi rond-point en immersion dans les abattoirs d'Alger. Les enfants du quartier ont également été associées de diverses manières au projet. Ils ont eu droit à une projection de dessins animés, à des visites guidées des murs graffités et ont collaboré au nettoyage des espaces. Ils ont aussi et surtout participé à un atelier de théâtre animé par le Tunisien Hatem Boukesra. Evidemment, la cohabitation avec les habitants de la houma (quartier) a dû se négocier âprement. «Il faut comprendre que, même si on est à Alger, nos jeunes vivent dans un carré isolé du reste du monde», nous dira un habitant d'El Hamma, avant d'ajouter : «Je préfère les voir s'amuser à dessiner sur les murs du hangar plutôt que de les voir traîner sans but ou tomber dans la drogue.» Wardia se souvient des débuts : «Beaucoup de personnes ne comprenaient pas qu'on s'intéresse à des hangars en ruine et nous demandaient de photographier plutôt de ‘belles choses'». Tout l'enjeu d'El Medreb a justement consisté à faire de ces hangars de «belles choses», même temporairement. Lors de la table ronde, un riche débat a été animé en présence d'artistes, d'architectes et d'habitants d'El Hamma. Il y a été question des énormes potentialités que présentent les friches industrielles non seulement pour des activités culturelles mais également pour des services sociaux, sanitaires ou sportifs répondant aux besoins des habitants. Quelques intervenants ont souligné que la démarche des autorités semble tournée vers le «laisser-tomber» pour récupérer les terrains qui suscitent de gros appétits fonciers. Il manquait toutefois dans ce débat la voix des autorités locales à même de transformer les propositions en décisions. Une fois fermée la parenthèse enchantée d'El Medreb, reste l'incertitude sur l'avenir du quartier et le devenir de sa mémoire. Mais ses animateurs comme les citoyens présents ne désespèrent pas de poursuivre leur élan et de convaincre les pouvoirs publics d'une réhabilitation vivante et même rentable du quartier.