L'histoire économique contemporaine de l'Algérie est riche en restructurations économiques. Nous n'avons qu'à considérer la longue liste des programmes qui nous ont été proposés par le passé comme solutions idoines aux maux de notre secteur public économique. La restructuration, les fonds de participation, les holdings, les SGP et le reste nous proposaient tous des solutions adaptées aux problèmes managériaux de notre secteur public. A chaque fois, les résultats se présentent plutôt comme décevants. Pourtant, les responsables étaient optimistes et nous promettaient de substantielles améliorations. Par la suite, les diagnostics réalisés avant le lancement de la prochaine restructuration insistent toujours sur un certain nombre de conditions qui n'étaient pas réunies pour que l'ancien programme puisse donner les résultats escomptés. Mais la prochaine restructuration subit toujours le même sort que la première. Pourquoi aucune restructuration n'a tenu ses promesses. Nous allons donner les raisons essentielles, tout en insistant sur le fait que les causes sont multiples et complexes et que certaines ne seront pas évoquées ; il est impossible de tout dire dans un contexte si court. Il est toujours facile de critiquer un programme passé qui a créé beaucoup de déceptions. Mais les bons analystes doivent savoir détecter les failles dans un projet dès sa présentation et avant sa mise en œuvre. Nous disposons d'outils et de méthodes pour ce faire. Mais à ma connaissance, très peu furent utilisés pour expertiser ces plans d'action avant leur lancement. Les outils et les méthodes sont longs à décrire. Je les ai présentés dans mon récent ouvrage (La décennie de la dernière chance : émergence ou déchéance de l'économie algérienne ?). Certains analystes avancent l'argument du caractère public des entreprises pour justifier le peu de résultats produits par ces entités ces dernières années. L'hypothèse selon laquelle l'entreprise privée serait plus efficiente est au cœur de l'analyse économique contemporaine. Mais nous avons des exceptions notoires. La Chine arrive à faire fonctionner un grand secteur public (plus de 35% du PIB) avec un degré d'efficacité remarquable. Mais précisément parce qu'elle fait usage de ces méthodes et ces outils. Qu'est-ce qui a manqué ? L'exercice d'analyse des causes du manque de résultat est nécessaire. Ce n'est pas une activité d'auto-flagellation ou d'autocritique inutile. L'analyse peut nous servir pour éviter des erreurs futures. C'est en sens que l'exercice devient utile. Par ailleurs, selon le fameux principe des 20/80 (20% des paramètres expliquent souvent 80% du phénomène), nous évoquerons les facteurs les plus importants. Il y a des conditions en amont difficiles à réunir présentement dans notre contexte : vision et stratégie claires, séparation du politique et du technique, entité de conception et de coordination des politiques sectorielles, etc. Car un projet de restructuration sectorielle se déroule dans un environnement où chaque détail compte. L'économie serait une superbe machine complexe et sensible : un défaut mineur conduit à des dysfonctionnements majeurs. Parfois, ce sont des dysfonctionnements de l'environnement qui induisent les dérapages de programmes managériaux. Par exemple, si les nominations des managers se font selon le népotisme, le clanisme ou de considérations politiques et non des résultats obtenus, le programme va forcément échouer mais pour des considérations externes. Evoquer les circonstances externes pour justifier le peu d'efficacité des programmes n'est pas inutile. Il sert également à préciser les contours, les conditions externes essentielles qu'il faut mettre en place pour arriver à optimiser les probabilités de succès des projets. Parmi les éléments internes essentiels constitutifs d'un programme de restructuration global, nous pouvons citer un facteur essentiel qui a de tout temps été négligé : un tableau de bord de pilotage d'un programme. Il a souvent été considéré comme un gadget, un outil superflu qui encombre et complexifie le projet sans contrepartie utile. Concevoir une batterie d'indicateurs qui serviraient à piloter le programme dans son ensemble n'est pas une opération simple ; elle exige beaucoup d'expertises et de concertations. Ce n'est pas une partie de plaisir pour les concepteurs ni pour les décideurs qui doivent avaliser ces données. Par ailleurs, ces indicateurs doivent être transmis à tous les échelons de la hiérarchie et forcément à l'opinion publique. Le degré de transparence serait si élevé que le citoyen moyen saurait si l'opération est en train de produire les résultats escomptés ou si on dérape. Concrètement, cela donne quoi ? Supposons que l'ensemble des principes et des dispositions connues soit respecté par les concepteurs de programmes publics. Cela changerait-il profondément la nature et le contenu des programmes ? Considérons uniquement la première disposition que nous venons d'énoncer : les instruments de pilotage. Supposons qu'on aurait intégré ceci dans le plan d'action. On aurait par exemple la situation hypothétique suivante. Premièrement, le déficit global des entreprises devrait être réduit de 18% par an à partir de la troisième année jusqu'à atteindre une rentabilité de 10% des fonds investis. Deuxièmement, si le niveau de déficit ne se réduit que de 10% à la fin de la cinquième année, le programme serait arrêté et revu de fond en comble. Les représentants des citoyens, la presse et l'ensemble des citoyens connaîtraient la plupart de ces dispositions. Quelques années plus tard, nous saurions si le programme est en train de réussir ou s'il dérapait. Ceci fut le cas de beaucoup de programmes internationaux bien gérés. L'exemple de la Malaisie, qui a conçu un programme d'amélioration de la situation pédagogique, est édifiant. Gérer c'est mesurer. Ils ont fait jouer leur système de mesure des niveaux de toutes les disciplines et même en l'éclatant par région. Le plan d'amélioration devait accompagner leur fameux plan «Malaisie 2020 pays développé». Des objectifs d'amélioration furent fixés pour les maths, la physique, la géographie, etc., à tous les niveaux. Les résultats des trois premières années mesurés quantitativement étaient satisfaisants pour l'ensemble, sauf les sciences hard. Le programme fut revu dans ces matières ; l'enseignement en anglais de ces disciplines fut préconisé. Le système commença à s'améliorer dans les sciences hard après sa révision. Le programme disposait d'instruments de pilotage qui sont objectifs (les examens nationaux ne le sont pas). Alors voilà un programme bien conçu qui permet de déceler très rapidement n'importe quelle déviation. La probabilité de réussite s'améliore de beaucoup lorsque le programme d'action contient toutes les conditions de réussite. Il a une forte probabilité d'échec s'il est mal ficelé dès le départ. Nous avons le tableau de bord de pilotage qui est un facteur essentiel. Mais il n'est pas le seul. C'est pour cela qu'il n'est pas donné à n'importe qui de concevoir une réforme sectorielle efficiente. Abdelhak Lamiri PH. D. en sciences de gestion