Au cours de ces dernières années, le taux de chômage a sensiblement baissé pour atteindre aujourd'hui, selon les chiffres officiels, 9,9%. Mais entre le nombre et la qualité de ces emplois, la différence est de taille. La tendance est, en effet, à la précarisation. Il y a certes création d'emplois formels à travers les différents dispositifs. Mais l'obsession des pouvoirs publics à faire baisser le chômage via des emplois non permanents et fragiles a ouvert grandes les portes à la précarité, qui risque de se transformer en pauvreté. La Banque mondiale, dans une étude récente, ne manque pas de le souligner : «La population en situation précaire risque de basculer de nouveau vers la pauvreté.» Ce que les experts soulignent également en avertissant : «L'Algérie pourrait connaître une période difficile, avec une précarisation croissante de sa population dans les années à venir.» La réforme du système de retraite risque d'aggraver la situation. Avec les difficultés de créer de nouveaux postes budgétaires et des départs massifs en retraite avant le 1er janvier 2017, les cotisations s'annoncent en baisse. Parallèlement, le rallongement prévu de l'âge de la retraite à 60 ans pourrait faire remonter le taux de chômage selon les syndicalistes. Le gouvernement se retrouve donc face à un dilemme. Quantitativement, des avancées ont eu lieu ces dernières années en matière d'emploi avec la baisse du taux de chômage. Un taux qui est passé de 27% en 2001 à 9,9% actuellement, selon les chiffres officiels. Le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, Mohamed El Ghazi, l'a encore rappelé la semaine dernière, relevant une baisse de 1,1% par rapport à l'année dernière. De son côté, le ministre de la Formation professionnelle, Mohamed Mebarki, s'est félicité que 80% des 250 000 diplômés de la Formation professionnelle en 2015 inscrits auprès de l'Agence nationale de l'emploi (ANEM) ont trouvé un emploi en quelques mois seulement. Une manière de souligner que l'insertion des diplômés de son secteur se fait de manière rapide. En affichant ce satisfecit quant à la prise en charge de l'épineuse question du chômage, les représentants du gouvernement n'ont dressé aucun bilan concernant les conditions de recrutement, la nature des emplois créés et sur d'autres questions susceptibles d'apporter des éléments pour bien cerner la question de l'emploi. Quid de la stabilité, de la sécurité de l'emploi, de la rémunération, des secteurs ciblés et de l'apport de ces emplois dans la diversification économique ? Quid aussi du respect des droits des travailleurs ? Autant de questions qui s'imposent dans une période où le débat est axé sur la réforme du système de retraite. Mais aussi au moment où l'investissement productif, principal moteur de l'économie, se fait attendre. «Comment peut-on contribuer à la création d'emplois quand les conditions d'octroi de crédits à l'économie sont difficiles ?», s'interroge à ce sujet un opérateur économique du secteur de l'agroalimentaire. Pour notre interlocuteur, créer des emplois passe impérativement par l'amélioration du climat des affaires. «Or, sur ce point, beaucoup reste à faire», notera-t-il encore. Cela pour dire que l'amélioration du classement de l'Algérie dans le doing business 2016 de la Banque mondiale (BM) ne change rien à la réalité du terrain. Notre interlocuteur évoque une autre anomalie, celle de l'absence d'organigramme au sein des entreprises. Ce qui laisse place aux dysfonctionnements et autres pratiques illégales. Emplois formels mais précaires C'est le cas essentiellement dans les entités économiques et commerciales familiales, où on n'ouvre pas la porte de l'emploi aux étrangers. «L'emploi est une chasse gardée pour les proches. Parfois, on retrouve des postes fictifs pour lesquels les bénéficiaires se font délivrer des fiches de paie et sont assurés», nous dira cet opérateur économique. Nous avons d'ailleurs réussi à trouver un exemple dans ce cadre. Samia, une femme au foyer dont les frères et le père gèrent une grande entreprise, se fait délivrer chaque mois un bulletin de paie et verse des cotisations à la CNAS et à la CNR. «C'est pour m'assurer des revenus réguliers», nous confiera-t-elle. Des pratiques qui nécessitent des enquêtes rigoureuses au niveau des entreprises, au moment où d'autres tentent tant bien que mal de contribuer à la création d'emplois. C'est le cas de Sabrina, une chef d'entreprise dans le secteur de la santé, qui fera remarquer, pour sa part, les lenteurs au niveau de l'ANEM pour le paiement des jeunes insérés dans le monde de l'emploi. «L'ANEM accuse un retard dans le règlement de la contribution de l'Etat au salaire de poste. Nous ne pouvons pas pénaliser les jeunes recrutés. Pour cela, nous prenons en charge la partie de l'ANEM. Mais pour se faire rembourser, il faut encore attendre», résumera-t-elle. «J'ai été placée dans un cabinet d'avocats. Pour ne pas payer la part qui lui revient, il m'a proposé de travailler juste la demi-journée. Certes, la proposition m'a arrangée, mais le salaire perçu, même pour un travail à mi-temps, est dérisoire», nous racontera une jeune licenciée recrutée dans le cadre du dispositif de l'ANEM. Des jeunes qui, dans la majorité des cas, sont appelés à patienter des années avant de tomber sur une offre d'emploi leur assurant la stabilité tant souhaitée. Autant d'exemples qui nous amènent à conclure que même si les évolutions sont positives sur le plan quantitatif, qualitativement, l'emploi reste précaire et les conditions de cette baisse du chômage restent à étudier pour apporter des améliorations, notamment en cette période de crise. Une période durant laquelle il ne s'agit pas uniquement de lutter contre le chômage, mais aussi d'améliorer la qualité de l'emploi. Une question sur laquelle se penchera le Centre de recherche en économie appliquée au développement (Cread) fin novembre prochain à l'occasion d'une rencontre sur l'économie sociale, où il sera question d'évaluer les résultats en termes de prise en charge des besoins des populations dans différents secteurs (éducation, santé, transport et emploi) et de voir comment assurer l'équité. C'est le point nodal en effet, puisqu'en Algérie les disparités en matière d'accès à l'emploi sont importantes et risquent même de s'accentuer avec la crise. La BM ne manque pas de le relever dans l'une de ses études publiées le 17 octobre, rappelant que cette question est commune aux pays du Maghreb. «Même si les performances économiques de l'Algérie, de la Libye, du Maroc et de la Tunisie sont diverses, les quatre pays du Maghreb ont en commun les mêmes grands défis socioéconomiques, avec, au premier rang, les taux élevés de chômage chez les jeunes et la nécessité d'y remédier en développant le secteur privé pour créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité». Accentuation des inégalités Dans le cas de l'Algérie, même si la population est «économiquement gérable», comme le souligne le document de la BM, avec un taux de pauvreté modéré, qui s'établissait à 5,5 % en 2011 et un taux de pauvreté extrême à 0,5 %, la population en situation précaire (10%) risque de basculer de nouveau dans la pauvreté. Pourquoi ? «En cause, notamment, le chômage, qui dépassait la barre des 10% en 2015 (11,2 % exactement). Au premier semestre de 2016, le chômage restait encore particulièrement élevé chez les femmes (16,6 %) et les jeunes (29,9 %)», relèvent des experts de la BM. Et de poursuivre : «En Algérie, près de 75% des pauvres vivent dans les zones urbaines, où ils sont employés dans le secteur informel, ou pratiquent une agriculture de subsistance. Mais les disparités régionales sont fortes : la pauvreté est deux fois plus répandue dans le Sahara, et trois fois plus élevée que la moyenne nationale dans la région des steppes.» Conjugués au bas niveau des cours pétroliers, ces facteurs font, selon la même source, de la lutte contre les inégalités un défi majeur en Algérie. Et ce, d'autant plus que les inégalités de consommation sont très élevées, avec un écart de 27,7% entre les riches et les pauvres. Alexandre Kateb : « Développer les industries consommatrices de main-d'œuvre» Une précarité que lie Alexandre Kateb, économiste en chef à Telle groupe, à «l'insuffisance d'opportunités d'emplois stables pour une partie de la population qui doit se débrouiller dans les circuits de l'économie informelle». Notre expert notera dans le même sillage qu'en période de retournement de la conjoncture, comme c'est le cas aujourd'hui, «cette tranche de la population subit plus fortement les effets du choc macroéconomique. Cet effet ciseaux est inévitable», poursuivra-t-il. D'où la nécessité de rechercher des moyens de compensation à travers notamment un mécanisme de transferts sociaux ciblés, car en l'absence d'une économie diversifiée, il y a risque d'aggravation des disparités d'accès à l'emploi. «La problématique de la diversification a été occultée pendant les années fastes. Elle revient aujourd'hui comme un boomerang. A défaut d'engager les réformes nécessaires, l'Algérie pourrait connaître une période difficile avec une précarisation croissante de sa population dans les années à venir», avertit d'ailleurs Alexandre Kateb, pour qui, il n'y a pas d'alternative à la diversification économique dans un pays où 70% de la population ont moins de 35 ans. «Cela passe par le développement d'industries fortement consommatrices de main-d'œuvre, comme le textile, l'agroalimentaire et la mécanique/électronique, ainsi que du tourisme et d'autres services à forte valeur ajoutée, comme l'éducation et la santé», préconise-t-il, soulignant que le véritable enjeu est le développement de la transformation agroalimentaire, et l'intégration des filières de la production à la distribution. «On peut aussi penser à l'écotourisme rural, comme cela existe dans d'autres pays. Il n'y a pas de solution unique à ce problème. L'important c'est d'avoir une politique cohérente en la matière, en concertation avec les intéressés eux-mêmes», estime encore l'économiste en chef de Telle Group. C'est en effet sur l'ensemble de ces questions qu'est attendu le gouvernement En attendant, l'emploi précaire sous toutes ses formes prospère du formel à l'informel.