Mabrouk Belhocine, décédé hier à l'âge de 95 ans, a été enterré à Alger dans la discrétion et l'oubli qui l'ont accompagné depuis son divorce avec la politique. Au cabinet sis au 4, boulevard de la République à Alger, la légende prend place désormais pour immortaliser la vie et l'œuvre de celui qui a marqué un siècle de militantisme national, en dépit de la gomme officielle qui a manœuvré 50 ans durant pour effacer son nom de l'histoire nationale. Mabrouk Belhocine, qui est décédé hier à l'âge de 95 ans, a été enterré à Alger dans la discrétion totale et l'oubli qui l'a accompagné depuis son divorce avec la politique. Avec cette disparition, c'est un monument du MNA qui tire sa révérence, laissant derrière lui des pages blanches de l'histoire de ce mouvement et des générations de juristes orphelins du modèle qu'il incarnait. Né à Chemini Aït Waghlis, dans la wilaya de Béjaïa, en 1921, Mabrouk Belhocine a fait partie des premiers Algériens diplômés en droit de l'université d'Alger avant de devenir bâtonnier vers la fin des années 1970. Avant de se consacrer à son métier de juriste, il a été un militant de la première heure au sein des instances dirigeantes du Mouvement national et haut fonctionnaire du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Ses convictions progressistes et son mépris du carriérisme politique l'avaient amené, cependant, à claquer la porte à chaque fois que son idéal était trahi. Dans ses nombreuses contributions à l'écriture de l'histoire de la libération de l'Algérie, Me Belhocine avait tenté de corriger des contrevérités et de combler des blancs dans lesquels venaient s'incruster des idées dogmatiques et autres inepties au service de la version officielle, linéaire et univoque. Déjà en 1949, il prenait la tangente du PPA-MTLD dans lequel il se sentait parfois étranger à cause de ses idéaux progressistes épisodiquement en porte-à-faux avec les principes du parti de Messali Hadj. C'est toutefois durant cette période passée au sein de la fédération de France du MTLD qu'il a affûté ses armes théoriques et politiques et se forger une personnalité auprès de militants qui deviendront ses amis, comme Sadek Hadjeres et Yahia Henine.Son parcours politique exemplaire, durant cette étape cruciale de l'histoire du pays, n'est cependant pas un modèle à suivre pour les carriéristes. Son adhésion au FLN en 1954 était motivée par son désir d'indépendance. «Le 1er Novembre 1954 a été, pour beaucoup, comme un éclair qui a déchiré la nuit coloniale. J'ai été enthousiasmé par le caractère national de l'action, c'est essentiellement cet aspect qui m'a incité, à la fin de décembre 1954, à adhérer au FLN», confiait-il dans une interview accordée, en 2010, à La Nouvelle République. Durant la Guerre de Libération nationale, il a assumé plusieurs fonctions supérieures, notamment la direction du département devenu ministère de l'Armement (de juin 1958 à décembre 1959) et ensuite comme secrétaire général adjoint du ministère des Affaires étrangères (de janvier 1960 à octobre 1961), avant de conduire la mission du GPRA en Amérique latine (de novembre 1961 à mai 1962). C'est durant cette période aussi qu'il a collaboré de près avec l'un des architectes de la Révolution, à savoir Abane Ramdane. La déception est de nouveau au rendez-vous à l'été 1962, pour cause, racontait ce témoin privilégié des mutations au sein du Mouvement national, de la résurgence des fractures tribales et féodales. Il a accepté toutefois de siéger à l'Assemblée constituante sur désignation de la Wilaya III historique. Le peu d'espoir qu'il nourrissait de voir son idéal politique se réaliser à travers la naissance d'une Algérie moderne et progressiste fut enterré à la suite de l'éviction d'Ahmed Ben Bella par l'armée du colonel Houari Boumediène. A partir de ce moment-là, il a décidé d'épouser une carrière d'avocat et de divorcer définitivement avec la politique. Très apprécié pour sa sagesse et son humilité dans le milieu des juristes, il a continué à défendre les victimes de la répression comme il l'a fait durant la période coloniale. Il est resté d'ailleurs loin de toute structure étatique ou politique jusqu'en juillet 1992, quand il a été appelé à faire partie de la Commission d'enquête sur l'assassinat du président Mohamed Boudiaf. Une expérience qui n'a fait que confirmer ses déceptions.