L'homme n'a jamais renoncé à ses idéaux au mépris d'un carriérisme politique stérile. Adieu militant! Discrètement, sur la pointe des pieds, un géant du Mouvement national vient de nous quitter. Mabrouk Belhocine décédé, avant- hier, à l'âge de 95 ans, a été enterré à Alger. Le défunt est né en 1921 au douar d'Ait Ouaghlis, à Chemini, dans la wilaya de Béjaïa où il fait ses classes à l'école du Marché avant de rejoindre le collège de Sétif en 1934 et réussit brillamment le concours d'entrée à l'Ecole normale. C'était un immense privilège à l'époque. Il sera parmi les premiers Algériens diplômés en droit de l'université d'Alger. Mabrouk Belhocine a assumé pleinement ses convictions sans jamais les renier. Très jeune, il intègre le Mouvement national et très jeune il s'est retrouvé au centre de l'un des conflits le plus profond qu'ait connu ce même mouvement: la crise berbériste de 1949 et Mabrouk Belhocine a été justement taxé de berbériste. A cette époque, ce qualificatif était à lui seul une pièce à conviction. On est coupable rien que par cette étiquette qui véhicule tous les maux, tous les dangers et toutes les dérives pour l'unité nationale. Il signifiait à la fois séparatiste, sécessionniste, régionaliste, pis encore anti-arabe, communiste et les reliques de ces contrevérités subsistent encore. Il a fallu attendre près de 70 années pour que son premier combat trouve l'écho favorable: la bérbérité de l'Algérie a été officiellement reconnue dans la Loi fondamentale, tamazight consacré langue officielle. Quand en 1948, le PPA -MTLD avait pour la première fois l'opportunité de porter son combat à l'international, il fallait donc s'identifier et se définir clairement en tant que nation à part entière avec ses repères, son histoire et sa culture indépendamment des repères que voulait imposer la France coloniale. Ce premier exercice du mouvement n'a pas été une réussite. Tout a commencé donc en cette année 1948, date à laquelle le PPA devait présenter un mémorandum à l'ONU. Ould Hamouda, membre influent du Comité central du parti et membre de l'OS, charge Mabrouk Belhocine, Yahia Henine, Sadek Hadjerès, Ali Yahia Rachid et Oubouzar d'une lourde tâche: rédiger un mémoire qu'il soumettrait au Comité central. Des mois durant, ces jeunes fougueux fouinent dans les bibliothèques pour enfin ficeler un texte, «algérianiste qui n'avait rien de berbériste», confie des années plus tard le défunt. A leur grande surprise, le texte a été sabré par Messali refusant toute référence à la berbérité de l'Algérie. Le document final «retravaillé» commençait alors ainsi: «La nation algérienne arabe et musulmane existe depuis le VIIe siècle. Or, on m'a toujours appris à compter à partir de zéro. Cette overdose de terminologie nous a excédés», se rappelle Mabrouk Belhocine. Cette première dérive du Mouvement national, ce déni identitaire a ouvert la voie aux dérives et c'est ainsi que naquit la fameuse crise berbériste. «Pour nous, il fallait amener le parti à corriger sa doctrine et sa façon de voir la nation algérienne.» C'est parce que la composante humaine de ce groupe était issue d'une même région, la Kabylie, défendant la même cause, la berbérité, était suffisant comme argument pour jeter l'anathème et sur le groupe et sur l'idée qu'il défendait. De la suspicion on passe à la chasse aux sorcières avant d'aboutir aux arrestations et même aux liquidations physiques. «Pourtant on n'a jamais dit Algérie berbère! Les gens combattaient pour une rectification vers l'algérianité.», ajoute M.Belhocine. Au déclenchement de la guerre de Libération nationale, il milita à la Fédération de France, rentre à Alger en 1962 et occupe le poste de député avant de se retirer totalement de la scène politique et garder le statut d'observateur sans jamais renoncer à ses idéaux au mépris d'un carriérisme politique stérile. Adieu militant!