Le design algérien brille par sa vitalité. Outre des expositions régulières de Johannesburg à Paris et Milan, que nous avions déjà mentionnées (El Watan du 4 septembre 2016), il suscite des recherches dans de multiples directions : mobilier, tapisserie et design graphique. Une nouvelle exposition lui permet de gagner encore en visibilité, cette fois-ci au MaMa d'Alger, dans le bâtiment d'Henri Petit, aux décors orientalisants. L'initiative d'une exposition sur le design vient de l'Institut culturel italien, qui souhaitait investir le lieu à l'occasion de la Journée mondiale du design italien. D'un commun accord, le projet s'est enrichi et élargi à une confrontation entre les productions du design algérien et certaines productions du design italien. C'est à la designer, Feriel Gasmi Issiakhem, que la nouvelle directrice du MaMa, Nadira Laggoune, a confié le commissariat : pleinement investie dans la diffusion du design algérien à l'occasion de la Triennale de Milan, Feriel Gasmi a rassemblé pour cette exposition les œuvres des designers déjà présentées lors de différentes expositions mais jamais ensemble. Cette réunion est d'autant plus importante qu'elle prend place dans l'institution qui a vocation à soutenir les artistes algériens vivants (voir entretien avec Nadira Laggoune). Production artisanale/ production industrielle La première question que pose aux designers algériens cette confrontation est celle du mode de production, et, par conséquent, au moins en partie, du statut de l'objet : à la différence des objets relevant des arts décoratifs, l'objet du design a été conçu pour répondre aux besoins de la vie quotidienne et donc pour être diffusé largement. C'est ce que nous rappellent certains grands succès du design italien, comme la Vespa, ou encore la machine à écrire de Sottsass… Le parcours -habilement conçu de façon à organiser des contrepoints ou des correspondances sans lourdeurs- met en vis-à-vis les productions industrielles du design italien et les productions artisanales du design algérien, que faut-il entendre par là ? Certaines productions relèvent des arts décoratifs et n'ont pas pour vocation une reproduction en série : c'est le cas par exemple de l'œuvre de la table basse de Ryad Aïssaoui, «Chbika», celle de Reda Ighil, «El Sni», de celles de Mohamed Ourad, ou encore de la magnifique lampe «Origami 3D» de Hamza Drioueche, des luminaires des céramistes Samia Merzouk «Toucher la Lumière», et Rachida Merzouk, «Astres». Mais pour la plupart, qu'il s'agisse de mobilier ou de tissage, les designers ont une visée industrielle, s'ils traitent avec des artisans, explorent leur savoir-faire, c'est qu'ils ne trouvent pas (encore) de partenaires industriels, comme nous l'ont dit beaucoup d'entre eux, le banc luminaire de la designer Mouna Boumaza, le mobilier de Feriel Gasmi, de Hamida, les chaises de Walid Drouche, «Linea» aux lignes géométriques épurées s'y prêteraient parfaitement. Le tapis de Nabila Kalache est parfaitement représentatif de cette possible alliance entre une réflexion sur les modes de fabrication traditionnels et une rentabilisation à l'échelle industrielle. Si les jeunes designers algériens vont vers des modes de production plus rentables et plus adaptés à une diffusion à large échelle, en revanche, les designers italiens souhaitent un retour vers l'artisanat, cette préoccupation est aussi présente chez certains designers algériens, soucieux de ne pas laisser perdre des traditions artisanales tout en les modernisant : elle était au centre de l'exposition «Tasmim Arabi fi Cirta» organisée par Zoubir Hellah en 2014. Le point focal de l'exposition est le magnifique canapé rouge de Cherif Medjber Vue sur la baie d'Alger, dont il rappelle la sinuosité par ses lignes courbes et souples. Son œuvre illustre bien aussi la tension entre arts décoratifs et design : le pouf «turban» aux dimensions impressionnantes est composé à partir de tissus dans une gamme de couleurs propres au Maghreb, il contraste avec le trône en plastique monochrome Sedia Pasha du duo italien Designer Claudio Dondoli et Marco Pocci. Aux frontières du design, le design graphique Le design graphique est représenté par deux artistes, Lyes Vergès et Mourad Krinah. Le travail de Liess Verges (Social Individual, Nihilist Temptation) est une interprétation des motifs de l'art islamique géométrique, dont il montre le mouvement en laissant des lignes inachevées. Quant aux tapisseries de Mourad Krinah, elles jouent sur l'illusion optique : à une certaine distance, elles composent un décor abstrait, de près, elles révèlent des images véhiculées par les médias : combattantes du Hamas, American snipers etc. Cette technique de composition lui est venue en 2001, lorsqu'il cherchait à rendre le déploiement des forces de police lors du printemps arabe à Alger : griffonnant une silhouette à côté d'une autre, l'artiste s'est rendu compte des possibilités offertes par la sérialité pour composer des décors, retrouvant à partir de l'image contemporaine le geste qui est une spécificité de l'art islamique : créer des compositions géométriques à partir de lignes. Cette hybridité travaillée à partir des images contemporaines et composée des lignes de décor géométrique place le travail de l'artiste à la frontière des arts plastiques et du design graphique : si les tapisseries peuvent relever de techniques d'impression industrielles, leur conception est profondément originale. Au final, la vitalité du design en Algérie permet de soutenir une confrontation avec le design italien dont l'histoire est bien plus longue.