Personnage historique, leader politique et figure intellectuelle, Redha Malek a été inhumé hier au cimetière El Alia (Alger) en présence de ses compagnons de route, du gouvernement Tebboune, de hauts cadres de l'Etat, d'anciens ministres et des acteurs de la vie politique et économique. La disparition de celui qui fut aussi à une période charnière chef de gouvernement (1993-1994) marque la fin d'une génération d'hommes politiques au long cours et celle d'une époque. Nombreux parmi ceux qui étaient présents aux obsèques ont salué l'engagement du porte-parole de la délégation algérienne lors des négociations d'Evian. Proche et ami du défunt, Ali Haroun était visiblement celui qui était le plus peiné par le départ de Redha Malek. Les deux se connaissent depuis plus d'un demi-siècle. Une vieille amitié forgée dans la lutte pour l'indépendance nationale. «La veille de sa disparition, nous étions ensemble à parler de la situation en Libye, en Irak et en Syrie. Il était d'une grande lucidité. Redha est plus qu'un ami, c'est un frère. Aujourd'hui, j'ai enterré une partie de moi-même», témoigne M. Haroun. Son apport à la Révolution était considérable. Il était le combattant de la plume. Aux côtés des Fanon, il était parmi ceux qui par leurs réflexions — d'abord dans Résistance algérienne puis dans El Moudjahid — pensaient à donner un contenu politique et idéologique à la Révolution et surtout à l'Algérie indépendante. «Mais le coup d'Etat de Tripoli en 1962 a mis de côté les intellectuels de la Révolution», ajoute Ali Haroun, en accompagnant son ami à sa dernière demeure lors des obsèques officielles. Pour l'ancien journaliste et actuel président de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel, Zouaoui Benhamadi, qui a longtemps côtoyé le corédacteur de la Charte nationale de 1976, «Redha Malek est un homme probe. C'est la probité qu'on enterre aujourd'hui». Mais avant l'arrivée de la dépouille mortelle, la foule nombreuse présente se formait en petits comités selon les affinités politiques et historiques, se mettant à l'ombre du soleil brûlant. Pendant que le chef du gouvernement était dans le salon d'honneur avec son staff, le chef du cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia, les deux présidents du Parlement et du Sénat, quelques ambassadeurs et le secrétaire général de l'UGTA, à l'extérieur tous les regards se sont tournés vers le président du Forum des chefs d'entreprise, Ali Haddad, qui était resté pendant un long moment seul. Quelques minutes après, arrive le frère cadet du Président, Saïd Bouteflika, que tous les présents guettaient. Il se dirige vers Ali Haddad, chaleureuse accolade mitraillée par les photographes. Un des frères du président du FCE est allé appeler Abdelmadjid Sidi Saïd pour se joindre au «duo» afin de former le «trio». Assailli par les photographes, Ali Haddad s'en donnait à cœur joie, tout comme Abdelmadjid Sidi Said d'ailleurs. Comme s'ils voulaient que le moment s'éternise. La scène est scrutée, commentée, interprétée sous tous ses angles. Elle a surtout dérouté plus d'un, tant l'actualité de ces deux dernières semaines était dominée par le bras de fer opposant le Premier ministre Tebboune au président du FCE soutenu par le secrétaire général de l'Union générale des travailleurs algériens. Haddad revient-il en grâce ? A-t-il remporté son bras de fer ? Tebboune est-il en perte de vitesse ? Les spéculations allaient dans tous les sens au point d'oublier la raison pour laquelle les gens se sont déplacés à El Alia. «Ce n'est plus un moment de recueillement. Les gens oublient qu'ils sont là pour l'enterrement d'une grande figure politique. Certains viennent pour s'afficher et envoyer des messages politiques. Ça frise l'indécence», commente un ancien ministre. Et pendant que le ministre de la Culture, Azzeddine Mihoubi, lisait l'oraison funèbre, Ali Haddad chuchotait à l'oreille de Saïd Bouteflika lâchant des «rires» discrets, non loin d'eux, se tenait le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, le visage fermé. Une longue séquence qui aura fait plus parler d'elle que le défunt lui-même. La séparation est nette. Entre Redha Malek — son parcours politique et intellectuel — et la surréaliste scène qui a dominé ses obsèques, le fossé est énorme. Un décalage historique.