Le cinéma syrien continue d'exister malgré la guerre, les peurs et les incertitudes. C'est un cinéma qui tente tant bien que mal d'évoquer les drames actuels des syriens. Lilit la Syrienne, de Ghassan Chmeit et Le père, de Bassil Al Khatib ont été projetés en avant- première arabe au Festival international d'Oran du film arabe (Fiofa). Deux exemples d'un cinéma qui survit. Tous les récents films de Bassil Al Khatib ont été projetés à Oran. Mariam, Al oum et Souriyoun, qui racontent les drames de la Syrie sous des angles différents à partir de la thématique de «la femme et de la guerre», ont été inscrits à la compétition officielle du Festival international d'Oran du film arabe (FIOFA). Les autres festivals arabes ont ignoré ces films leur reprochant leur caractère quelque peu propagandiste. Bassil Al Khatib, qui assume ses positions politiques favorables au pouvoir de Damas, a évoqué dans ses trois longs métrages la situation en Syrie comme le résultat «d'un grand complot» étranger. L'armée syrienne est présentée sous les traits du protecteur incontournable du pays. Dans Al ab (Le père), son dernier film, présenté lors du 10e FIOFA, qui s'est déroulé du 25 au 31 juillet dernier, Bassil Al Khatib s'attaque au phénomène Daech. Il marche sur les pas de Najdat Anzour qui, lors du festival d'Oran de 2016, a présenté Fania oua tatabadad (Elle est mortelle et va disparaître) en réponse au fameux slogan des partisans d'El Baghdadi, «Bakia oua tatamadad» (Elle va rester en s'élargissant). Le film n'a, curieusement, pas été projeté dans la plupart des pays arabes malgré son caractère dénonciateur de Daech et de ses nombreux crimes. Seuls les cinémas irakien et syrien se sont intéressés à l'organisation terroriste qui, ces dernières années, a contribué à la destruction de villes entières, comme Al Raqqa et Mossul, a assassiné des milliers de civils, a réduit à l'état d'esclave sexuelle des centaines de femmes et d'hommes, pillé la patrimoine architectural et culturel du Cham et détourné des terres agricoles. Récemment, le cinéma égyptien a montré de l'intérêt au phénomène de «l'Etat islamique». La fin de ce mois d'août, sortira, dans les salles du Caire et d'Alexandrie, Da'adouch, qui se moque de l'organisation d'El Baghdadi en usant du langage comique. Le réalisateur tunsien Ridha Béhi a également proposé Zahrat Alep, un film qui tente d'aborder la question de Daech et du «recrutement» des jeunes par cette organisation (le cinéma tunisien s'est vaguement intéressé au sujet). Le père, sauveur Dans Al Ab, Bassil Al Khatib se concentre sur les malheurs d'un village encerclé par les terroristes de Daech. Ibrahim (Ayman Zaidan) tente, au milieu des ruines et des feux, de sauver ses filles, son épouse et ses parents. Il doit affronter plusieurs dangers pour conduire sa famille vers un ancien hôpital où une section de l'armée a établi un QG. Les civils se rassemblent dans cet abri de fortune, tentent d'organiser la solidarité, alors que le père coordonne avec un officier les actions pour se protéger contre les assauts de Daech. La symbolique du peuple et de l'armée affrontant le même danger et embarqués dans la même galère est là. Elle est même la trame essentielle de ce long métrage tourné comme un film de guerre. Les rescapés essaient de fuir mais sont vite rattrapés par «les djounoud» de Daech, tous habillés en noir et bien armés. La caméra de Bassil Al Khatib, comme pour le film de Najdad Anzour, plonge dans l'univers glauque de l'organisation. Les enfants sont embrigadés pour devenir des «combattants», les femmes asservies et humiliées et les hommes exécutés l'un après l'autre après des «procès» expéditifs. Ibrahim résiste et finit par lâcher devant le chef cruel du groupe avec courage : «Nous sommes sur cette terre avant vous.» Bassil Al Khatib a évité, cette fois-ci, de montrer les militaires syriens comme des sauveurs invincibles. Il a laissé la liberté au spectateur de conclure l'histoire comme il veut, conscient que son film traite d'un sujet délicat lié à une histoire en marche. Il n'y a aucune possibilité d'avoir du recul. D'où le caractère perturbant du film dominé symboliquement par la couleur grise. «Chacun de nous défend le pays de sa place. Nous voulons témoigner de ce qui se passe en Syrie. Daech ne sort pas vainqueur dans notre film. Nous avons raconté des faits réels en privilégiant les aspects humains et en évitant les discours. Nous avons même tourné dans des décors réels où Daech a commis des crimes. Nous étions accompagnés de personnes qui ont souffert des actes de ce groupe», a confié Robine Aïssa, une des comédiennes du film, lors du débat qui a suivi la projection à Oran. Al Ab a été tourné à Machta Al Hilou, Al Zara et Telkakh, des villages ravagés par la guerre. «Ce qui se passe réellement en Syrie est pire que ce que vous avez vu dans le film. Péniblement, nous arrivons à tourner en Syrie. Et nous veillons à chaque fois de choisir les endroits où les événements ont lieu pour de vrai. Ceci est nouveau dans le cinéma arabe. Nous pouvions à tout moment être la cible de tir de roquettes. Malgré cette situation, nous produisons une trentaine de courts métrages et quatre longs métrages par an. Même des réalisateurs de drama sont passés au cinéma. La production ne s'est pas arrêtée», a expliqué Amar Ahmed Hamed, responsable au niveau l'Entreprise publique de cinéma de Damas, qui a produit Al ab. Pour son rôle dans ce film, Ayman Zeidan a décroché le prix de la meilleure interprétation masculine au 10e FIOFA.Autre film syrien : Lilit la Syrienne projeté à Oran en avant-première mondiale et en opning movie. «Le fait de choisir Lilit la Syrienne comme un film d'ouverture est une manière de célébrer le cinéma syrien. C'est un hommage à la Syrie par extension», a commenté le réalisateur du long métrage, Ghassan Chmeit. Comme pour Al chira'a wa al asifa (Les voiles et la tempête), son précédent film, inspiré d'un roman de Hana Mina, Ghassan Chmeit s'est appuyé sur une œuvre littéraire pour son nouveau long métrage, Sous le nombril de la lune, de Juheina Aouam. Le père, perdant La romancière et le cinéaste se sont inspirés de la légende de «Lilit» qui serait la première épouse de Adam, avant Hawa. Sana (Ola Bacha) semble représenter Lillit dans le film. Sana a fui avec sa famille la campagne soumise à la pression de la guerre pour se réfugier en ville où elle gère un restaurant populaire. Elle veille sur Nabil (Wadah Haloum), son époux, rescapé d'un attentat à l'explosif. Un mari volage au passé noir. Sana doit surmonter l'épisode du kidnapping de son frère par un groupe terroriste. Un frère qui pourtant vivait paisiblement à l'étranger mais qui a décidé de rentrer. Sana doit également surmonter l'autoritarisme de son beau-père (Abderrahmane Aboukacem). Contrairement au film de Bassil Al Khatib, les pères dans Lilit la Syrienne sont défaillants et perdants. C'est à ce niveau que situe le courage de ce film qui s'attaque frontalement au pouvoir paternel qui étouffe les sociétés arabes. Ghassan Chmeit, présent à Oran, ne veut pas l'assumer totalement de peur de s'engager sur un sentier politique. Il préfère parler du conservatisme qui «bloque la liberté de mouvements des jeunes» en Syrie et ailleurs. Le long métrage aborde aussi le drame des déplacés en Syrie qui, aujourd'hui, sont des millions. «La femme en Syrie vit la crise chaque jour avec sa dureté. Lilit est la femme attendue, celle qui naîtra après cette crise. Après tous ces événements, nous aspirons à ce que la femme syrienne soit comme Lilit. Elle ne cède pas !», a souligné Ghassan Chmeit. «Sana est une femme forte qui lutte pour que la vie continue avec son mari malade, ses filles, son restaurant. Chaque minute, elle souffre mais continue son combat. En même temps, elle doit faire attention aux bombardements, aux attentats, aux explosions. C'est le lot quotidien de la femme syrienne», a-t-il ajouté. Pour le comédien Abderrahmane Aboukacem, présent à Oran aussi, la femme syrienne joue un rôle plus grand que par le passé. «La femme syrienne, en plus de toutes ses tâches quotidiennes, est devenue un soldat qui monte la garde devant les murailles du pays», a-t-il relevé. Ghassan Chmeit est revenu, pour sa part, sur les conditions de production de films en Syrie. «Au début des événements, j'ai tourné Al Chiraa'a oua al asifa, je me suis dit que nous allons arrêter de produire des films. Mais là, nous produisons le double de ce que nous faisions avant la crise. Il y a une prise de conscience par rapport à l'importance du cinéma en pareilles circonstances. C'est une manière de laisser des traces sur les événements et de mettre un doigt sur la plaie», a-t-il dit. Pour Abderrahmane Aboukacem, le cinéma syrien est à l'image du 7e art arabe. «Il se cherche toujours, propose des films de valeur et de qualité comme il produit des films plus modestes», a-t-il noté. Oui, mais les cinéastes syriens ont-ils toute la liberté dans le choix des sujets ? «Sans doute, oui. Il y a de la liberté, sinon il ne sert à rien de produire un film. Le cinéma, c'est aussi une industrie. Ce n'est pas de la politique. Cela dit, l'idée politique peut être contenu dans un film d'une manière ou d'une autre», a répondu le comédien à notre question. Selon lui, les cinéastes, artistes et techniciens prennent beaucoup de risques en tournant des films. «Il y a des menaces sur la sécurité des artistes et des techniciens. Il y a souvent des difficultés et des dangers dans le déplacement du matériel d'un endroit à un autre. Nous avons perdu des journalistes et des artistes qui ne faisaient que leur travail. Ils sont, pour nous, des martyrs», a conclu Abderrahmane Aboukacem.