Une rupture avec le wahhabisme mortifère ? Certainement une remise en cause. Maison mère de l'extrémisme religieux à partir de laquelle le wahhabisme a conquis le monde musulman, l'Arabie Saoudite s'engage sur la voie de la réforme économique et sociétale. Inséré dans un programme «Vision 2030» qui ambitionne de sortir le pays de sa dépendance à ses ressources énergétiques, Riyad veut rompre avec une conception sclérosée de l'islam. «Nous n'allons pas passer 30 ans de plus à nous accommoder d'idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant et tout de suite», a affirmé le jeune prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS) lors de la présentation de son plan «Marshall», baptisé «NEOM», qui mobilise 500 milliards de dollars. Dans la bouche d'un dirigeant saoudien de premier plan, la sentence s'apparente à une révolution, compte tenu de l'histoire de ce pays qui a empoisonné le monde musulman avec sa doctrine religieuse ultrarigoriste. Cette remise cause du wahhabisme en Arabie Saoudite a eu l'effet d'un séisme dont les répliques vont se faire ressentir en Algérie. Il est certain que la galaxie salafiste algérienne connectée à La Mecque du wahhabisme se trouve déstabilisée par le nouveau discours religieux émanant de l'épicentre de la «nation musulmane». Sans tuteur, elle est désorientée. D'un coup, la direction qui mène vers La Mecque devient floue. Avec qui prier ? «Tout mouvement ou réforme intervenant dans la doxa religieuse en Arabie Saoudite aura un impact certain sur les mouvances islamistes en Algérie, tant celles-ci sont culturellement, voire organiquement liées à la doctrine en vigueur en Arabie», assure un cadre du ministère des Affaires religieuses. La rupture annoncée avec le wahhabisme à Médine et à Riyad «va manifestement déstabiliser le lien historique entre les islamistes algériens et l'Arabie Saoudite. Le salafisme algérien dit ‘‘ilmiyya'' a fait allégeance au régime saoudien (et à ses prédicateurs), le considérant comme protecteur contre le danger chiite. On constate, depuis quelque temps, que les mouvances salafistes chez nous rentrent en conflit violent entre elles. Ses figures se font la guerre publiquement dans les mosquées, comme l'illustre le conflit entre cheikh Ferkous et Abdelmalek Ramdani». Les tensions entre les figures salafistes algériennes vont sans nul doute s'exacerber dans la perspective où certaines personnalités religieuses saoudiennes vont se mettre à soutenir les réformes royales et apporter leur caution. Ce qui va renforcer la fragmentation de la mouvance salafiste algérienne et son affaiblissement. «Ce qui s'opère en Arabie Saoudite va déstabiliser profondément le salafisme en Algérie. La réforme du discours religieux portera un coup dur à la référence idéologique non seulement au wahhabisme mais aussi à l'islamisme algérien qui a connu déjà une déstabilisation depuis les événements du 11 septembre 2001 et l'impasse structurelle de l'islamisme djihadiste», explique H'mida Ayachi, spécialiste de l'islamisme radical. Rappelant les connexions historiques entre les salafistes algériens et le monarchie wahhabite, M. Ayachi affirme qu'à chaque fois que Riyad est secoué intérieurement, les islamistes algériens ressentent l'impact. «Le salafisme algérien s'est lié au wahhabisme saoudien depuis les années 1980 en plusieurs étapes. Il est son agent local dont la mission était de répandre le discours wahhabite. Ça a commencé avec le rapprochement entres Frères musulmans et les wahhabites au milieu des années 1980 qui avait permis de mobiliser les jeunes Algériens dans la guerre en Afghanistan contre les Soviets. Une période qui avait servi à élargir les milices afghano-arabes-prosaoudiennes. S'ensuivit la période de conflit entre Frères musulmans et Saoudiens qui va durant les années 1990 pousser les salafistes prosaoudiens à devenir le bras idéologique du wahhabisme prenant la forme algérienne en instrumentalisant la tendance salafiste au sein de l'Association des oulémas et des institutions religieuses pour devenir une force de résistance au nationalisme moderne en diffusant un discours franchement opposé à la modernité héritée de la lutte de libération», analyse H'mida Ayachi. Est-il nécessaire de rappeler que ce lien avec le wahhabisme a produit en Algérie une tragédie sans nom. Le basculement dans la barbarie au nom d'une «guerre sainte» a brisé les reins de la société. Si le pays est sorti de la spirale de la violence, le terreau subsiste. Pis encore. Il se renforce, alors que même l'Arabie Saoudite — pays de naissance — semble tirer les leçons du désastre. N'est-il pas venu le moment de couper la tête de cette hydre intégriste qui bloque le pays et risque même de le replonger dans l'horreur. En tout cas, le royaume saoudien donne le signal. Etrange paradoxe. Chez nous, cela doit conduire à mettre un terme à cette tendance salafiste qui continue de structurer le discours religieux et codifier les mœurs de la société algérienne. C'est une grande bataille des idées qu'il faudra mener à différents niveaux. Mais cela dépendra d'abord du choix politique du pouvoir. Pour l'heure, les autorités publiques ont adopté une attitude conciliante et permissive avec les tenants de l'islam rigoriste, leur cédant des espaces et des marges d'action considérables. Conquérants et hégémoniques, les tenants du salafisme, si pour l'heure et par calcul tactique ne contestent pas le régime politique, ils n'abandonnent pas leurs perspectives historiques. Conquérir le pouvoir est une question de temps pour eux. Ils ont de la patience. Par méthode, ils gagnent d'abord le cœur des fidèles avant de gagner celui du pouvoir. En leur concédant des espaces, en leur accordant des concessions aussi symboliques soient-elles, le pouvoir politique leur ouvre un grand boulevard pour atteindre leurs desseins. Un choix désastreux qu'il faut vite abandonner. Il est tout de même étrange et paradoxal d'en arriver à recommander de suivre la voie du prince héritier Mohammed Ben Salmane. C'est dire toute l'influence qu'exerce la «Mecque de l'autoritarisme» sur le pouvoir algérien et son emprise sur des pans entiers de la société.