Quel regard portez-vous sur le développement économique centré sur les territoires dans un pays comme le nôtre où le développement a toujours été l'affaire du pouvoir central ? Le développement territorial est encore un exercice difficile car il remet en cause les modes de gouvernance, l'exercice du pouvoir, dans la mesure où le territoire n'est pas un lieu neutre à aménager, mais une communauté humaine. Cette nouvelle approche demande en réalité beaucoup plus de changements dans les mentalités que dans la technique. C'est pour cela qu'en réalité on ne progresse dans le développement territorial qu'au terme d'un gros effort de pédagogie. Le challenge consiste à faire avec les différents acteurs concernés par le développement local, l'important étant le développement humain des communautés qui y vivent. C'est évidemment facile à dire mais difficile à mettre en œuvre car sur ces territoires il y a déjà des entreprises, des pouvoirs, des habitudes qui sont en place. Changer le cours des choses est souvent douloureux. Pensez-vous que des territoires puissent être, pour des raisons historiques, culturelles ou autres, plus prédisposées que d'autres à créer des entreprises et par conséquent à se développer ? J'ai parlé de communauté humaine pour justement mettre en relief les éléments historiques et culturels propres à chaque territoire. Un bon développeur de projets doit évidemment en tenir compte. Est-ce qu'il y a de bonnes ou de mauvaises histoires dans un territoire ou dans l'autre. Ce n'est évidemment pas une question facile car il n'y pas de déterminisme en la matière. On peut toutefois constater que des territoires en souffrance dans leurs histoires ont appris à se battre, parvenant de ce fait à mieux réussir leur développement que des territoires qui avaient apparemment de plus grandes facilités. Mais pensez-vous qu'il y a des territoires qui par leur histoire, leurs comportements propres, sont condamnés à ne pas se développer ? Je ne crois pas. Il n'y a de territoires condamnés que là où il y a des gens qui se condamnent à ne pas bouger. C'est pour moi un principe. Cependant si aucun territoire n'est condamné à la stagnation, rien ne détermine cependant le chemin qu'ils doivent parcourir. Et c'est bien aux acteurs du développement des localités concernées qu'il revient de déterminer en fonction de leurs ressources la définition de leur futur. S'entêter par exemple à développer le tourisme dans une localité qui n'en veut pas c'est évidemment aller droit à l'échec. Définir un bon futur consiste à combiner les ressources disponibles avec les prédispositions humaines, culturelles, historiques, propres aux territoires. Quel rôle assignez-vous à l'Etat si le développement économique venait à être centré sur le territoire ? Il y a effectivement problème, parce que l'Etat va se sentir frustré dans rôle habituel d'arbitre. On peut toutefois affirmer qu'un Etat moderne est un Etat qui fixe peu de règles mais des règles qui sont effectivement appliquées, et qui donne envie aux secteurs locaux d'œuvrer. Dans tous les cas les décisions en faveur du développement économique territoriale ne devraient être prises qu'à des échelons qui garantissent leur efficacité.