Un journal américain classe «Constantine parmi les villes à visiter» et l'information fait naturellement le buzz. Faut-il s'en réjouir ou en pleurer ? Car si le charme naturel et les vestiges de Constantine ne font aucun doute, ce n'est pas là non plus une question émanant d'un esprit chagrin, car il n'est pas plus dangereux que de dormir sur ses lauriers quand l'envers du décor est à deux doigts de basculer au premier plan. Ainsi donc, le répertoire publié par USA Today le 5 janvier dernier cite Constantine parmi onze villes du monde qui se trouvent «hors radar» mais qui sont fort agréables à visiter. La capitale de l'Est algérien se retrouve ainsi aux côtés de Beyrouth, Abu Dhabi, Kigali, Mendoza, ou encore la capitale de l'Azerbaïdjan, Baku. Le rédacteur de l'article se base, entre autres, sur les conseils de Sal Lavallo, un Américain de 27 ans, connu pour avoir fait le tour du monde pour «promouvoir le côté positif des places les moins connues et celles négativement perçues», comme il définit son ambition sur son compte Instagram où il publie les photos de ses voyages et ses coups de cœur. «La deuxième ville que j'ai visitée en Algérie était Constantine. Je suis resté quatre jours dans cette magnifique ville des Ponts. La ville est construite sur et autour de deux montagnes principales qui sont reliées par 8 ponts renversants, celui-ci étant le plus récent. Constantine abrite également la plus belle mosquée algérienne — Emir Abdelkader — dont les minarets dominent la ville», écrit Lavallo pour décrire le site de l'ancienne Cirta en légende d'une photo montrant le pont Salah Bey, ou Transrhumel. En guise de présentation culturelle, l'explorateur explique que le bâti constantinois est «une combinaison de la culture nord-africaine, berbère et française». Les réactions des internautes sont aussi enthousiastes devant les photos partagées par Lavallo et traduisent l'élan naturel qui vous emporte devant la beauté exceptionnelle de Constantine et ses paysages imprenables. Quoi de plus normal que la réaction des nombreux internautes qui expriment leur désir de faire leurs valises sur-le-champ pour prendre la destination constantinoise. Et cela ne peut que titiller la fierté locale et mettre du baume au cœur en ce début de 2018. Mais encore faut-il que cette beauté ne soit pas défigurée, car le processus de dégradation s'est accéléré ces derniers temps au risque de détruire définitivement ce potentiel. Dégradation C'est l'envers du décor. Car ces «panoramiques à couper le souffle» sont chaque jour défigurés par le béton. L'autoconstruction est en train de dévorer à une allure folle les sites qui entourent le Rocher. La vallée d'El Menia est le dernier site tombé. Aujourd'hui, le touriste qui vient admirer la vue depuis la corniche, le pont Sidi M'cid ou la colline du même nom se heurte inexorablement à cette urbanisation galopante et agressive qui s'abat sur la vallée après avoir totalement remplacé le charme naturel de la colline de Bekira et celle de Benchergui par des milliers de constructions éternellement inachevées. Au lieu de préserver cette vallée comme partie indivisible du potentiel touristique lié directement à cette vue, l'Etat a choisi de livrer ces terrains au lotissement. Et quel lotissement ? Hocine Ouadah, un ex-wali qui détestait incompréhensiblement Constantine, a défendu le projet. Moins de deux années après son départ, le site est à moitié défiguré, irréversiblement, et le reste va l'être dans très peu de temps. C'est dire l'incapacité de l'Etat à mener une politique urbanistique cohérente et à céder aux solutions faciles devant les situations d'urgence. C'est dire aussi les contradictions qui minent la démarche du gouvernement qui un jour casse sa tirelire pour éradiquer les milliers de bidonvilles sous le pont Sidi Rached, et le lendemain signe des décisions d'attribution de lots ou de régularisation de constructions anarchiques sous le pont Sidi M'cid ! Si l'APC FIS a été la première à attenter au site en favorisant l'érection d'un village hideux sur la colline Benchergui en face du Rocher, l'Etat n'en fait pas moins en poursuivant une démarche incohérente qui change d'un gouvernement à un autre, d'un wali à un autre, et qui dans tous les cas tourne le dos à la vocation touristique de Constantine. Bien entendu, les touristes américains et tous nos amis du monde restent les bienvenus pour admirer la beauté de cette ville, ou ce qu'il en reste.