En Algérie, un bébé sur 3000 est né avec cette anomalie qui n'est pas toujours diagnostiquée à temps. Le nombre est peut-être plus élevé, mais on ignore réellement la prévalence de cette pathologie comme toutes les autres maladies génétiques, puisque le dépistage est inexistant. Mardi, jour de consultation au service de pédiatrie au CHU de Bab El Oued. Des bébés dans les bras de leurs parents attendent leur tour dans la salle d'attente dès les premières heures de la journée. Si certains sont des habitués du service puisqu'ils sont suivis depuis des mois, voire des années pour des pathologies assez lourdes, d'autres arrivent pour la première fois pour divers motifs. Adelghani, Abdeldjalil, Abderhmane, Rayane et tant d'autres que nous avons rencontrés à la consultation du Dr Asmahane Ladjouze, maître de conférences A et chef d'unité nourrisson, sont des petites filles inscrites à l'état civil avec des prénoms de garçons durant un laps de temps de leur vie, voire pour toute la vie pour certaines devant la difficulté de différenciation du sexe à la naissance. Ces bébés qui portent des prénoms de garçons sont en réalité des bébés de sexe féminin. Atteints d'une maladie rare, l'hyperplasie congénitale des surrénales avec un déficit en enzyme 21-hydroxylase, ces enfants souffrent de cette maladie génétique qui entraîne des problèmes chez les filles en présentant des signes de virilisation et de masculinisation avec une ambiguïté sexuelle. Les garçons par contre ne présentent pas de problèmes majeurs mais décèdent en absence de diagnostic précoce. Ainsi, en Algérie, un bébé sur 3000 naît avec cette anomalie qui n'est pas toujours diagnostiquée à temps. Le nombre est peut-être plus élevé, mais on ignore réellement la prévalence de cette maladie comme toutes les autres maladies génétiques, puisque le dépistage est inexistant. Abderrahmane, âgé de 11 mois, est suivi depuis les premiers mois de sa naissance dans le service de pédiatrie de Bab El Oued. Habillé d'un jogging bleu et d'un bonnet de la même couleur, le bébé est en fait de sexe féminin, paraît très agité dans les bras de sa mère inquiète pour l'absence de traitement de son enfant. «Mon garçon a besoin de ce traitement sinon il va mourir. Nous sommes ici depuis l'aube et il doit prendre ce traitement. Il ne lui reste que quatre comprimés, comment allons-nous faire ? On nous pousse à partir, d'ailleurs des mamans avec leurs bébés ont déjà pris la mer», lance-t-elle d'un ton coléreux. Et d'ajouter : «Des tonnes de drogues rentrent dans notre pays et on ne peut pas nous ramener de médicaments. C'est injuste.» Avant de signaler : «Nous avons quitté la maison à 4h pour arriver à notre rendez-vous chez le Dr Ladjouze qui suit notre fils depuis une année. A sa naissance, on ne nous a rien dit à l'hôpital de Tahir dans la wilaya de Jijel. Pour moi, j'ai accouché d'un garçon, Abderrahmane, mon cinquième et nous étions heureux. Pour le moment, c'est toujours un garçon pour nous et tout le monde, à savoir la famille et le voisinage, le sait, mais ici à l'hôpital on dit le contraire. Il présente effectivement une anomalie, mais on attend la confirmation des analyses. Notre cauchemar a commencé quinze jours après sa naissance. Il a eu des diarrhées et des vomissements durant plusieurs jours jusqu'à ce qu'il soit complètement déshydraté ; on nous a orientés alors vers l'hôpital de Bab El Oued où il a été vite pris en charge et où il est suivi. Nous avons fait toutes les analyses qu'il faut. Il reste le caryotype, une analyse qui demande plus de temps et on verra ce que dira le médecin», raconte la maman sur un ton désespéré devant l'absence de traitement qui risque de lui faire revivre le cauchemar qu'elle croyait voir surmonté. «Abdeldjalil» est devenu «Rokia», elle a aujourd'hui 5 ans. Elle est née en 2013 à l'hôpital d'El Eulma dans la wilaya de Sétif avec une anomalie de l'organe génital externe. Devant la difficulté pour différencier le sexe, le personnel médical qui était dans l'impossibilité d'expliquer et de confirmer le sexe a proposé aux parents de lui donner le prénom Rayane qui «convient pour les filles ou les garçons». «Nous étions dans l'obligation d'accepter puisqu'effectivement notre fille présentait un organe génital masculin. On nous a conseillé d'aller consulter un médecin spécialiste. A la première visite chez un médecin privé, nous avons perdu tout espoir. Il nous a même dit qu'on n'avait qu'à lui souhaiter la mort car, selon lui, il n'y a rien à faire et il n'existe aucun traitement pour soigner une telle maladie. Malgré cela, nous n'avons pas baissé les bras et nous avons cherché partout là où on pouvait trouver un moyen de traiter notre enfant. C'est à partir de là que nous avons été orientés vers l'hôpital Parnet à Alger, où ma fille a été hospitalisée durant un mois. Après plusieurs examens, analyses biologiques et radiologiques, on a confirmé qu'effectivement il s'agit d'une fille normalement constituée avec un appareil génital de sexe féminin, mais avec une anomalie de l'organe génital externe. Depuis, Rokia est suivie ici à l'hôpital de Bab El Oued par le Dr Ladjouze. Elle est suivie depuis cinq ans dans ce service avec un traitement à vie. Nous avons pensé l'emmener en Tunisie pour une opération et finalement elle a subi une intervention chirurgicale à l'hôpital de Sétif. L'opération a duré six heures et elle est restée hospitalisée pendant une semaine, aujourd'hui tout est rentré dans l'ordre. Le problème qui reste à régler est la disponibilité du médicament que nous achetons de l'étranger. Nous souhaitons l'avoir ici en Algérie. Sinon que va-t-elle devenir ? C'est un traitement indispensable pour son développement. Elle prend un comprimé par jour avec d'autres médicaments qui sont disponibles et pas chers», raconte la maman de Rokia les yeux en larmes. Rokia a un petit frère depuis quelques mois à qui on a donné le prénom que sa sœur portait à la naissance : Abdeldjalil. «Pour éviter le même problème, on m'a mise sous traitement lors de ma deuxième grossesse. Une fois que le gynécologue a confirmé que le sexe de mon bébé était masculin, j'ai arrêté le traitement et aujourd'hui mon fils est tout à fait normal», a-t-elle ajouté. Abdelghani a 13 mois et est suivi dans le même service depuis sa naissance où il est venu en consultation en situation de déshydratation à quelques semaines de sa naissance. «Mon accouchement a été un choc pour moi. Durant toute ma grossesse, mon gynécologue m'a affirmé que mon bébé était une fille. J'ai tout préparé pour accueillir une petite princesse à la maison. Le trousseau de mon bébé, comme nous avons la tradition de le faire, était tout rose. A la naissance, à l'hôpital de Naciria, à Boumerdès, on m'apprend que mon bébé n'était ni une fille ni un garçon. Le sexe n'est pas normalement constitué ; c'est entre la forme d'un sexe masculin et féminin en même temps. La sage-femme me propose alors de le surnommer Rayane pour éviter tout problème en attendant de voir un spécialiste pour une prise en charge. Le prénom est valable pour les deux sexes, a-t-elle insisté. Effectivement, on a effectué les examens nécessaires à l'hôpital de Dellys qui nous a par la suite orientés vers Bab El Oued puisque Rayane présentait déjà des problèmes de santé. Il vomissait sans arrêt et maigrissait. Il a dû être hospitalisé durant 20 jours. Une fois que son état s'est nettement amélioré, on a effectué des examens plus approfondis, on nous a finalement affirmé que Rayane est effectivement de sexe masculin. J'ai décidé de lui changer de prénom pour l'appeler Abdelghani, une manière d'effacer de ma tête cette ambiguïté. Maintenant il est pris en charge ici à l'hôpital et il sera opéré nous a-t-on promis», relate B. N., la maman de Abdelghani âgée de 23 ans. Des cas similaires sont également diagnostiqués et pris en charge au service de pédiatrie, endocrinologie et néonatologie à l'hôpital de Belfort à Alger. «Il y a des familles dans certaines régions du pays, M'sila, Djelfa, Bou Saâda et Biskra, qui souffrent de cette maladie, l'hyperplasie congénitale des surrénales. C'est pourquoi nous insistons sur le dépistage systématique de cette maladie qui consiste à faire un prélèvement de quelques gouttes de sang au niveau du talon. Par ailleurs, cette maladie peut être suspectée dès la naissance chez certaines petites filles qui présentent une anomalie évidente des organes génitaux externes», précise le Dr Ouarezki Yasmine, pédiatre au service de néonatologie à l'hôpital de Belfort, qui déplore au passage l'absence du médicament indispensable à l'équilibre hormonal de ces enfants, à savoir le 9-alpha fludrocortisone. Ces anomalies peuvent être évitées, note le Pr Bouzrar Zahir, chef de service de pédiatrie au CHU de Bab El Oued. «Il est important de mettre en place le dépistage néonatal systématique chez les nouveau-nés afin d'éviter toutes ces pathologies dont la prise en charge est extrêmement lourde. Par ailleurs, la sensibilisation des sages-femmes au problème de l'ambiguïté sexuelle est primordiale afin d'orienter le plus tôt possible les parents à consulter», a recommandé le Pr Bouzrar, tout en déplorant l'absence de consultation de référence et le manque de réseau de soins.