M'hamed Bouziane Larbi (1) est un romancier, tard venu et par raccroc aux lettres. Il avait 55 ans lorsque paraît son premier roman, Le piano d'Isther. Auparavant, il a toujours été médecin. Il a gravi les échelons jusqu'à devenir professeur et chef de service en médecine interne. Aujourd'hui, il a un cabinet privé. Le piano d'Isther raconte, avec une netteté virile, l'odyssée d'un couple que tout sépare ; les interdits religieux, les préjugés de la société et autres tabous sont détaillés avec une exactitude qui est à sa façon de l'art. L'originalité de M'hammed B. Larbi, c'est d'avoir saisi les virtualités tragiques de deux sociétés différentes : l'une pauvre et colonisée, l'autre aisée et colonisatrice. Sans doute, y a-t-il des exagérations dans son argument, mais la part solide, dans ce long récit désespéré, consiste dans l'évocation de la petite ville de Miliana. Avec M. B. Larbi, loin de l'optimisme de la romance, le paysage urbain prend une couleur tragique. Dans son second roman, paru il y a quelques mois, le romancier s'attaque à un autre tabou : l'amour entre un quinquagénaire et une jeune femme de vingt-cinq ans. Un amour impossible qui mènera le héros à la folie puis au suicide. Une fin tragique. Une sensibilité vive jusqu'à la cruauté doublera chez M. B. Larbi la constatation de l'immense duperie que, selon lui, les tourments de la vie portent à son apogée. Chez le romancier, le rêve humanitaire n'adoucit guère le sentiment profondément tragique dans la vanité dérisoire des amours et des joies. M. B. Larbi croit aussi que l'insouciance, les allures désinvoltes de l'autre après-guerre (entendre la décennie noire 1992-2002) ne paraissent plus de mise en ce moment. L'accumulation des tragédies dans l'ordre mondial impose au roman – qu'il soit insurgé ou neutre politiquement – une gravité angoissée. Vu sous un autre angle, notre romancier apparaît sous les traits d'un artiste romantique, visage qu'il n'a pas dépouillé complètement. C'est ce romantisme qui lui permet de se pencher sur des êtres très simples, impulsifs, irresponsables, antisociaux si l'on veut, mais d'une bonté, d'une innocence indéniables. Leurs joyeusetés se déroulent sur un rythme vif et sont relevées par des tourments qui n'épargnent personne. Les instincts élémentaires, le désir de boire, de manger, de forniquer, conservent chez les personnages de M. B. Larbi une sorte de pureté édénique. Les scènes les plus révoltantes ou les plus scabreuses sont présentées par l'auteur avec une nudité, une simplicité exceptionnelles. On remarque aussi chez le romancier une impersonnalité constante qui lui permet d'exceller dans l'art épistolaire (voir Les voix et les ombres »). M'hamed B. Larbi réussit à imprimer une vie fugitive à des êtres sans complexité, vus en un instant décisif et souvent magnifiés à leur insu par la situation même où il les a placés.