Dans les années 1960 et 1970, le tourisme était considéré comme un danger. Les responsables politiques de l'époque pensaient que développer ce secteur signifierait systématiquement le « vendre » aux investisseurs privés étrangers, ce qui conduirait inévitablement à la perte d'une partie de l'indépendance politique du pays. Le résultat était que l'investissement aussi bien national qu'étranger était impensable à l'époque. A partir du début des années 1980, avec la prise de conscience des limites de l'économie de mono-exportation pétrolière, un changement d'optique s'est opéré et le tourisme a commencé à recevoir une certaine attention de la part des gouvernements qui ont régné jusqu'à ce jour. On a alors reconnu la nécessité de développer des secteurs qui supplémenteraient la rente pétrolière, voire se substitueraient à cette rente à long terme. En particulier, le secteur touristique devait réaliser trois objectifs principaux : contribuer au renflouement des caisses de l'Etat en matière de devises, créer de l'emploi et donc réduire la pression du chômage et développer un potentiel touristique qui était totalement inexploité jusqu'alors. Cependant, cette nouvelle orientation stratégique n'a pas été suivie par l'élaboration d'une politique de marketing qui devait accompagner le développement de ce secteur devenu tout d'un coup un des secteurs prioritaires. En effet, aussi bien sur le plan du tourisme national que celui du tourisme international, on pensait que disposer de produits touristiques variés et de qualité est une condition suffisante pour un développement automatique de ce secteur. Au plan national, par exemple, on arrivait à la situation paradoxale selon laquelle l'Algérien de la rue connaissait une bonne partie du monde (l'Allemagne, l'Angleterre, les Etats-Unis et bien sûr la France) mais ne connaissait pratiquement rien de son pays et donc était un mauvais représentant de ce dernier à l'étranger. Au plan international, on pensait que la variété et la beauté naturelle des produits touristiques devaient systématiquement créer une demande touristique étrangère. Au total, ni les citoyens (pas tous heureusement) ni les responsables de la politique touristique ne participaient au marketing des produits touristiques du pays. Le résultat est que le secteur n'a pas connu le taux de croissance qui en était attendu par comparaison aux deux pays voisins de l'Algérie, la Tunisie et le Maroc, qui ont réussi des taux de croissance des plus élevés dans la zone méditerranéenne. La raison de la grande performance de nos voisins, entre autres, est dans l'adoption par ces pays d'une politique de marketing agressive aussi bien au plan du tourisme national qu'étranger. Si l'on regarde la publicité qui est faite dans un pays comme la France, on peut voir que l'Algérie est totalement absente alors que la Tunisie et le Maroc sont omniprésents. C'est ainsi que les agences de voyages en France font la publicité et organisent des séjours et des tours dans les deux pays voisins mais pas en Algérie. Certains diront que, dans le cas de l'Algérie, il y a le facteur risque sécuritaire qui est pris en compte. S'il n'y a aucun doute que ce risque intervienne dans le faible développement (on pourrait presque dire non développement) du tourisme en Algérie, ce facteur n'explique pas la stagnation totale dans laquelle se trouve ce secteur depuis des décennies. L'Algérie a donc besoin d'élaborer une stratégie globale de marketing qui prendrait en considération les deux secteurs touristiques national et étranger et qui tiendrait compte du facteur « risque sécuritaire ». Marketing touristique national L'Algérie, si elle veut utiliser pleinement ses ressources touristiques, devrait élaborer et mettre en œuvre une stratégie de marketing pour le tourisme national et international. Du côté du tourisme national, si les Algériens ont toujours une préférence pour « l'étranger », en particulier l'Europe et le Canada, c'est d'abord et avant tout parce qu'ils ne connaissent pas très bien leur pays. Il n'est pas question, bien entendu, d'interdire aux Algériens de voyager notamment dans le nouveau contexte de globalisation économique et culturel, mais on pourrait réduire de beaucoup le montant des devises qu'ils dépensent dans leurs voyages à l'étranger, parfois sans but précis, par un programme d'éducation culturelle sur leur propre pays. Cela passe par une stratégie de marketing nationale qui inclurait la connaissance géoculturelle de toutes les régions du pays et de tous les produits touristiques et culturels qu'elles offrent. Cette stratégie devrait mettre à contribution bien sûr le ministère du Tourisme mais aussi les ministères de la Culture, de l'Information et de l'Intérieur. Cette stratégie devrait aussi s'appuyer sur une politique des prix qui encouragerait les Algériens à découvrir les endroits les plus reculés et négligés comme le Sud saharien, dont les potentialités touristiques, culturelles et historiques sont nombreuses et riches. Cette politique pourrait être réalisée grâce au développement d'infrastructures légères (campings organisés, infrastructures sportives, distractions culturelles orientées vers la connaissance des folklores et des cultures locaux). Ce tourisme national devrait être orienté surtout vers les jeunes pour à la fois accroître leur connaissance de leur pays et réduire les dépenses qu'ils auraient faites dans l'achat de billets d'avion internationaux et les frais de séjour qu'ils sont obligés d'engager, souvent en devises sonnantes et trébuchantes pour des voyages qui ne sont pas toujours culturellement positifs. Pour que ce résultat puisse être atteint, il faut que le ministère du Tourisme — de concert avec les trois autres ministères concernés — élabore une politique dynamique et efficiente de marketing auprès des jeunes où qu'ils se trouvent (écoles, universités, lieux de travail). Ce programme devrait inclure des présentations faites par les responsables des trois ministères sur les différentes régions du pays sur les plans géographique, économique, culturel et historique. Ce programme doit aussi inclure la confection et la circulation de brochures, la production et la distribution de films documentaires ainsi que les possibilités de prise en charge des jeunes qui aimeraient « découvrir » ou plutôt « redécouvrir » leur pays. Cela nécessite, bien entendu, la collaboration des agences de communication de plus en plus nombreuses et qualifiées qui ne demandent qu'à travailler. Il faudrait aussi penser à la formation d'un personnel qui servirait de guides touristiques et historiques chargés d'informer les jeunes et de leur présenter les produits et valeurs touristiques et culturelles de leur pays. Ce programme de marketing ne peut réussir que si une place importante est accordée au volet distractions. Ce dernier est lié au volet sécuritaire qui devrait aussi être pris en considération. Il faut donc convaincre les jeunes et les moins jeunes que la redécouverte de leur pays se fera dans un environnement sûr, et c'est là que le rôle du ministère de l'Intérieur aura son importance. Le résultat de cette action marketing interne sera que les jeunes, dont le niveau de connaissances de la culture et des ressources touristiques nationales se sera accru, deviendront de véritables ambassadeurs de leur pays et participeront à la « marketisation » de l'Algérie lors de voyages qu'ils effectueraient à l'étranger. Cette action de marketing au niveau national doit être accompagnée d'une action de marketing au plan international. Marketing touristique international Au niveau international, l'action marketing doit mobiliser, outre les quatre ministères évoqués ci-dessus, le ministère des Affaires étrangères, qui devra jouer, plus que par le passé, un rôle moteur dans la redynamisation du tourisme. En effet, les services culturels de nos ambassades à l'étranger ont eu une attitude plutôt attentiste, pensant que la beauté des sites touristiques serait suffisante pour la création d'une demande touristique internationale. Le ministère du Tourisme devrait travailler en étroite collaboration avec ce dernier ministère pour qu'au sein des services culturels extérieurs, une place spéciale soit accordée au marketing touristique. Jusqu'à maintenant la seule action — si on peut parler d'action — de marketing à l'étranger consistait à participer aux foires et expositions organisées dans certains pays de manière épisodique ou encore à certaines activités culturelles organisées par ci, par là par certains pays. Le marketing au plan international doit être beaucoup plus dynamique pour ne pas dire plus agressif. Il faut que le ministère du Tourisme élabore avec les autres ministères un programme culturel et touristique qui inclurait des conférences et des activités culturelles plus fréquentes et dans le plus grand nombre de pays possible. En effet, en dehors de l'Europe, l'Algérie n'est pas connue. Aux USA, par exemple, un marché qu'il faut que l'Algérie pénètre, lorsque les gens me posent la fameuse question : « Where are you from ? » je réponds : « I am from Algeria. » La réaction de mes interlocuteurs est systématiquement : « Nigeria ? » Les Américains connaissent très bien le Nigeria , mais pas du tout l'Algérie. Et ce n'est pas seulement une question de langues. Par ailleurs, des cellules « Tourisme » devraient être créées au sein des services culturels de nos ambassades et devraient participer à l'élaboration d'un programme de promotion et de marketing des produits touristiques du pays. Il faut bien entendu que ces cellules connaissent aussi les infrastructures d'accueil existant dans les différentes régions touristiques du pays (hébergement, tours, distractions culturelles, etc). En parlant d'hébergement, il y a beaucoup d'Algériens qui ont construit, au cours de ces dernières années, des habitations qui dépassent leurs besoins familiaux et qui seraient heureux de sous-louer une partie de l'espace en surplus aux touristes étrangers. Peut-être que, dans l'étape actuelle où le risque sécuritaire est en train de se résorber, cela rassurerait les touristes. Il y a donc une action de marketing à mener pour recenser et exploiter ces ressources d'hébergement additionnelles. Les cellules « Tourisme » doivent aussi élaborer des brochures et des documentaires sur les produits touristiques et culturels algériens et adopter désormais une Supply Side Attitude et non plus une Demand Side Attitude comme c'était le cas jusqu'à aujourd'hui. Cette politique marketing doit aussi être agressive en matière de prix. Il faudrait que le ministère du Tourisme, de concert avec les autres partenaires à l'intérieur et à l'extérieur du pays, étudie les prix de nos produits touristiques ainsi que ceux de nos voisins maghrébins et méditerranéens et propose des prix qui soient compétitifs selon le produit touristique offert et sa qualité par rapport aux produits voisins. Un autre facteur doit être inclus dans cette stratégie de marketing. Il s'agit de l'environnement. Il faudrait, en effet, éviter les erreurs du passé qui consistaient à laisser les investisseurs développer leurs projets sans suivi par les autorités chargées de l'urbanisme et de l'environnement. Le résultat est que la plupart des investissements qui se sont faits dans le secteur du tourisme l'ont été souvent aux dépens de l'environnement. C'est ce qu'on constate par exemple dans les zones touristiques de Béjaïa aussi bien à l'Est, du côté de Tichy/Aokas/Souk El Tennine qu'à l'ouest, du côté de Boulimat/Saket/Tighremt où les investissements se sont faits au détriment des paysages considérés comme parmi les plus beaux de l'Algérie et de l'environnement. En effet, la plupart des infrastructures touristiques construites ces dernières années ont été des investissements « béton armé » sans aucun espace vert. La stratégie de marketing à mettre en œuvre doit donc éviter ces investissements « sauvages » et inclure la dimension paysagiste et environnementale. Ce marketing ne devrait donc pas être un simple marketing « marchand » mais ce que les « marketers » appellent le marketing sociétal, qui comprend non seulement les objectifs économiques (profit, emploi, service) mais aussi le respect de l'équilibre écologique. Toutes ces actions de marketing aux plans interne et externe nécessitent l'adoption d'un budget marketing qui doit être basé sur les objectifs fixés pour le secteur touristique et les ressources dont dispose l'Algérie pour son développement. Ce budget doit ensuite être alloué en partie aux actions de marketing interne et en partie au marketing international. Cette allocation doit elle-même être basée sur des études du marché touristique national et international en tenant compte de la relation d'interdépendance existant entre ces deux marchés : un bon touriste national est en même temps un bon « marketer » des produits touristiques de son pays à l'étranger. Ce budget devrait bien sûr être géré par le ministère du Tourisme qui doit rester le pilote de cette stratégie de marketing, c'est-à-dire le coordinateur de toutes les actions qui peuvent être confiées aux autres ministères concernés ou initiés par eux. Si une telle stratégie de marketing au double plan intérieur et extérieur était adoptée et si les moyens de sa mise en œuvre étaient également pourvus, il n'y aurait aucun doute que l'économie nationale en tirerait des bénéfices au double plan stratégique (réduction de la dépendance vis-à-vis de la rente pétrolière et mise en valeur du potentiel touristique et culturel du pays) et opérationnel (apport en devises, emploi, formation, notamment des jeunes). L'auteur est Ph.D en économie, Master of Arts in African Literature Professeur à l'Institut international de Management-Béjaïa