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« France 24 n'est rattachée à aucun lobby »
Alain De Pouzilhac (Président du directoire de France 24)
Publié dans El Watan le 26 - 03 - 2007

Il connaît un seul mot arabe : « Inchallah. » Mais il défend avec cœur le futur canal arabe de la chaîne d'information continue France 24, qui diffuse depuis début décembre 2006, et qui sera lancé le 2 avril 2007. Hier, lors d'une cocktail à l'hôtel El Aurassi à Alger, le lancement de ce nouveau programme a été annoncé. « Le fait de parler la langue arabe est une forme de respect pour les gens qui nous écoutent au Maghreb et au Moyen-Orient », dit-il. Respect également de parler english pour les gens du Nord ou français pour ceux de l'espace francophone. Il est contre le fait qu'on doit impérativement s'exprimer en anglais parce que 87% des leaders d'opinion parlent cette langue à travers le monde. France 24 reconnaît, selon lui, la diversité du monde. Alain de Pouzilhac, président du directoire de France 24, est venu à Alger accompagné par Agnès Levallois, directrice adjointe de la rédaction en charge des contenus en arabe de la chaîne. Un voyage similaire est prévu à Casablanca (Maroc), Le Caire (Egypte) et Dubaï (Emirats arabes unis).
France 24 porte « un regard français » sur l'actualité internationale. Cela veut dire quoi au juste ?
Toute chaîne internationale a un regard spécifique. Ce qu'on lui demande est d'être honnête, impartiale et indépendante pour assurer sa crédibilité. Mais aucune chaîne n'est vraiment objective. Parce que l'objectivité n'existe pas dans le monde de l'information. Pourquoi ? Parce que la chaîne regarde toujours le monde avec sa culture, ses yeux, son éducation, son environnement, sa religion, etc. CNN voit le monde avec des yeux américains, la BBC avec des yeux britanniques, France 24 avec des yeux français et Al Jazeera avec des yeux arabes. Le regard français se caractérise avec trois valeurs spécifiques : la France considère le monde à travers sa diversité, par opposition aux Américains qui le font d'une manière unifiée. Ils pensent que la vision de Washington doit être développée par tout le monde. La France reconnaît la diversité culturelle, religieuse, politique... Elle n'a jamais arbitré entre l'économie et la culture. Elle estime que la culture a permis autant le développement des civilisations que l'économie. A l'inverse des Américains et des Britanniques qui croient que c'est l'économie qui drive le développement des civilisations. Donc France 24, c'est à part égale entre la culture, l'art de vivre et l'économie. Troisième caractéristique : débat. Quand on n'aime pas la France, on dit que les Français sont arrogants. C'est un pays où on discute de tout : quand il y a du beau temps, on dira qu'il y a des nuages... c'est un avantage. France 24 essaye d'expliquer le pourquoi de l'actualité : des débats, des confrontations, des discussions. Elle met en avant ce caractère français.
Quelles sont les chaînes qui vous concurrencent le plus. La BBC ? CNN ? Al Jazeera ? Euronews ? L'important est-il d'abattre cette concurrence ou travailler avec ?
France 24 a trois langues sur internet (français, anglais et arabe) et, à partir du 2 avril, trois langues à la télévision. Dans l'ordre d'importance, la chaîne anglophone, qui va couvrir la majorité de la cible de France 24, l'arabophone deuxième et la francophone troisième. C'est paradoxal de voir une télévision française d'information avoir le français comme troisième langue, alors qu'il est de tradition que la langue du pays soit la première. Cela tient au fait que beaucoup de foyers au Maghreb et au Moyen-Orient reçoivent les chaînes par satellite. Dans cette partie du monde, la position française est attendue et est différente de celle des Américains et des Britanniques. France 24 a envie de parler aux leaders d'opinion de cette région importante. C'est une décision stratégique. A la différence d'Al Jazeera, qui a deux chaînes en arabe et en anglais qui ne sont pas semblables, France 24 aura 80% de programmes communs. Les journaux auront le même contenu, le même visuel, les mêmes faits d'actualité, le même habillage pour les trois langues. Agnès Levallois nous a recommandé que 20% des programmes soient spécifiques pour le Maghreb et le Moyen-Orient en fonction de l'actualité. La chaîne a fait une prouesse de lancer en l'espace de quatre mois des programmes en trois langues. Aucune chaîne ne l'a fait avant nous. Même pas la BBC, qui a 50 ans d'existence, ou CCN qui a vingt ans. France 24 accompagne la génération internet en phase de prendre le pouvoir dans le monde. La chaîne a regardé cette révolution amenée par les leaders d'opinion via internet et a su réagir (...) Au Maghreb et au Moyen-Orient, il n'y a aucune possibilité de suivre l'information internationale, si vous ne parlez pas dix-sept langues, à part Al Jazeera. France 24 sera le premier média non arabophone à apporter un autre point de vue. Les gens veulent voir des points de vue différents pour se forger leur propre opinion.
Vous êtes venus à Alger pour annoncer le lancement de France 24 en arabe. Pourquoi ce choix ?
L'Algérie est choisie parmi les six pays où nous procédons aux mesures de notoriété, d'audience et de ce qui plaît et de ce qui ne plaît pas (la chaîne y a déjà réalisé un sondage, ndlr). Les autres pays sont le Sénégal pour l'Afrique, les Etats-Unis pour les Amériques, la Grande-Bretagne, l'Italie et la France pour l'Europe. L'Algérie représente le monde arabophone. C'est un pays où la présence de la jeunesse est forte avec 35 millions d'habitants. Nous considérons que la génération internet est en train de révolutionner le mode de comportement. L'Algérie, par sa jeunesse, adhère complètement à cette révolution.
Les journalistes de France 24 peuvent-ils dire tout ?
Les journalistes de France 24 sont indépendants et libres. Mon rôle en tant que patron de cette chaîne est de leur permettre d'avoir la totale liberté de parole, de manière à ce qu'ils puissent montrer tous les faits sans aucune censure. J'interdis d'interdire. Aux journalistes, dans les conférences de rédaction, de décider jusqu'où ils vont et qu'est-ce qu'ils vont transmettre (...) Actuellement, les correspondants de la chaîne parlent anglais et français. Agnès Levallois recherche une centaine de correspondants à travers le monde. La chaîne arabophone est internationale. Il serait formidable si nous trouvons des trilingues. Avant la fin 2007, France 24 aura 300 correspondants à travers le monde. Il en existe 200 actuellement. Il reste qu'une chaîne d'information est jugée par sa crédibilité et sa réactivité.
N'y a-t-il pas une ligne de démarcation entre la ligne stratégique de l'Etat français et la liberté de ton des journalistes ?
France 24 n'est rattachée à aucun lobby, aucun parti ni aucun gouvernement. La chaîne a été voulue dans la forme par une décision politique prise par le président Jacques Chirac. Dans le monde occidental, les gens voyagent et, lorsqu'ils arrivent dans un hôtel, ils ne trouvent dans les télés que le point de vue américano-britannique. Aujourd'hui, les gens ne veulent plus avoir un petit bout de perspective, ils veulent avoir la vision la plus objective possible de ce qui se passe dans tous les coins du monde. Et France 24 est une opinion contradictoire, comme Al Jazeera en anglais. Actuellement, dans les hôtels, vous avez quatre possibilités de voir les événements : américaine, britannique, arabe à travers Al Jazeera en anglais et France 24 qui est entre les Al Jazeera et les Américains et les Britanniques. Pourquoi ? Parce que la France est considérée comme rebelle si on n'aime pas ce pays, ou non-aligné si on l'aime. C'est un pays qui dit ce qu'il veut, quand il veut et où il le veut. C'est, à mon avis, une bonne définition de l'indépendance. Cela dit, il n'y a aucune interférence politique dans France 24. Quand on est une chaîne indépendante, on ne va pas voir, à chaque fois qu'on a un pépin, son gouvernement pour une aide. On essaye de résoudre les problèmes stratégiquement. Si on a commis une erreur, on la répare. Nous rapportons ce que nous voyons. Que cela plaise ou pas, c'est un autre sujet. Notre rôle est d'informer. Ce rôle ne doit pas être relié à une quelconque susceptibilité. Il y a toujours, sur le plan éditorial, une ligne conductrice : jusqu'où on va, qu'est-ce qu'on dit, comment on le fait et comment on l'explique.
Le partage de budget entre les groupes TF1 et France Télévisions influe-t-il sur la ligne éditoriale de la chaîne ?
Pas du tout. France 24 est une société de droit privé, une joint venture entre TF1 et France Télévisions, c'est ce qu'il y a de mieux dans l'espace audiovisuel français. Nous nous appuyons sur le stockage d'images de ces groupes. Les journalistes qui travaillent signent pour France 24, par pour ces groupes. Nos journalistes sont tous bilingues. Quand on est bilingue, on est supposé avoir l'esprit ouvert à la politique internationale. C'est ce qui caractérise les journalistes de France 24 dont la moyenne d'âge est de 31 ans. Ils travaillent à la télévision et sur internet à la fois. C'est une génération interactive. Ils sont formés à une réactivité plus grande que leurs aînés. Ils sont de 33 nationalités différentes. C'est un brassage de plusieurs cultures et de points de vue. Cela participe à rendre plus internationale France 24.
Cinquante morts à Baghdad, 5 secondes à TF1, portrait d'un fabricant de hamburgers à New York, 3 minutes. A France 24, l'actualité internationale est-elle traitée autrement ?
90% des couvertures sont consacrés à l'actualité internationale à France 24. Les autres chaînes généralistes françaises en réservent 10%. On rapporte les faits et on les explique à travers des débats, des magazines, des talk-shows et des reportages (...) France 24 a été, par exemple, la première à approfondir la question du Darfour (Soudan).
Pour vivre, France 24 aura besoin de publicité à l'avenir. Qu'avez-vous prévu pour cela, d'autant plus que vous avez 35 ans dans le monde de la réclame et du marketing (Havas, Euro RSCG...) ?
Ce qui m'a frappé dans le monde de la publicité est que les agences qui avaient peu de moyens étaient les plus créatives. Je pense que 86 millions d'euros suffisent pour être compétitifs. Mais nos moyens modestes nous obligent à chercher d'autres pistes plus créatives. C'est formidable. Nous avons un objectif, en termes de publicité, d'atteindre 3 à 5 millions d'euros pour 2007. Notre objectif est de 15 millions d'euros pour 2008 pour rendre la chaîne plus forte.


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