Les griefs retenus par les justices britannique et française à l'encontre de Rafik Abdelmoumen Khalifa, à savoir essentiellement le blanchiment d'argent dont il est potentiellement suspecté, relancent les interrogations sur la fortune amassée à l'étranger de celui qui est appelé aujourd'hui à comparaître devant les magistrats du tribunal du Westminster, à Londres, et convaincre de son refus d'être extradé vers la France. Londres. De notre envoyé spécial L'enquête ouverte par Scotland Yard sur des soupçons de blanchiment de fonds ciblant Rafik Abdelmoumen Khalifa, nous indiquait la semaine dernière une source à Londres très proche du dossier, est motivée par la découverte par les enquêteurs britanniques de « traces » sur des transferts douteux effectués par Khalifa à partir de territoires réputés être des Tax Heaven, des paradis fiscaux, à destination d'institutions financières londoniennes. Sans dévoiler le montant des avoirs détenus par l'ex-golden boy algérien en Grande-Bretagne ni oser la moindre estimation, la même source révèle que quelles que soient les sommes exfiltrées, le gros de sa fortune se trouverait non au Royaume-Uni, mais plutôt en France, où les filiales du groupe Khalifa étaient fort présentes, à l'instar de Khalifa Airways et de Khalifa TV. Le mandat est justifié, selon les autorités britanniques, par la découverte d'« irrégularités financières » liées aux activités du groupe alors que certains titres de la presse française expliquent que les motifs dudit mandat sont « la banqueroute frauduleuse », « l'extorsion de fonds » et « l'abus de biens sociaux ». Le journal Le Figaro soulignait dans son édition de samedi que le gouvernement français s'est porté partie civile dans la procédure judiciaire enclenchée contre Rafik Khalifa suite à la « déconfiture » de ses filiales françaises. Le Figaro fait part également du renvoi au 2 mai de la comparution de Rafik Khalifa, qui, rappelons-le, est placé par la justice britannique depuis le 27 mars sous écrou extraditionnel. Rafik Khalifa, condamné à la réclusion à perpétuité par la justice algérienne à l'issue du procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank, est aussi requis par les autorités judiciaires algériennes, dont le dépôt de la demande d'extradition n'a été officiellement accepté par la justice britannique qu'en février, après présentation d'une masse de preuves, dont des expertises graphologiques. Concernant le « taux » d'actions qui seraient acquises par Khalifa à la Barclays Bank, l'une des plus importantes banques britanniques, notre interlocuteur estime que celui avancé lors du procès Khalifa, qui était de 5%, est loin de refléter la réalité des faits. « Le taux, dit-il, est trop exagéré vu le poids financier du groupe Barclays, il ne peut pas détenir un tel taux, en réalité Khalifa n'a acquis que 17 actions pour 1 million de livres Sterling chacune, soit plus de 25 millions d'euros au total. » On n'en saura pas davantage et l'énigme demeure donc entière. Les « spéculations » sur la fortune réelle ou fantasmagorique qui serait détenue par Rafik Khalifa à l'étranger et dont personne ne semble actuellement en mesure d'oser la moindre estimation, ont été d'une certaine manière imposées par les révélations faites lors du procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank, notamment les montants astronomiques transférés pendant de longues années vers l'étranger. Maître Meziane, l'avocat de la liquidation d'El Khalifa Bank, en abordant lors de sa plaidoirie durant le procès Khalifa le volet lié à ces opérations, déclare qu'en 1998, El Khalifa Bank a transféré 1,42 milliard de dinars, 13,309 milliards de dinars en 1999. En 2000, 28,58 milliards de dinars ; en 2001, 39,54 milliards de dinars ; en 2002, 58 milliards de dinars, affirmant que 91% de déposite (contrepartie) étaient en dinars. Il explique à ce titre que la devise était en 1999 de 80%, en 2000 de 68%, en 2002 de 40%, ce qui a permis à Abdelmoumen d'acquérir des biens à l'étranger, comme la villa de Cannes, qui était en vente à 12 ou 13 millions d'euros (voir El Watan du 21 février 2007) et d'un avion privé acheté à 10 millions de dollars. Ces transferts lui auraient également permis d'acheter un million d'actions à la banque FIBA pour 8 millions d'euros, qui ont été récupérés par le liquidateur, M. Badsi. Dans son enquête publiée en mars 2005, la revue Jeune Afrique l'Intelligent estime les montants des transferts irréguliers du groupe Khalifa vers l'étranger en différentes monnaies à 362,7 millions d'euros, 523,8 millions de dollars et enfin 94,3 millions de francs français (14,3 millions d'euros). « Sur ces sommes, note la revue, au moins 34 millions d'euros se sont volatilisés dans la nature : les enquêteurs n'ont pas pu localiser les destinataires. » Pourtant, lors de son passage sur la chaîne Al Jazeera, l'ex-patron du groupe Khalifa déclarait avoir laissé dans les caisses de sa banque 3 milliards de dollars. L'avocat, maître Meziane, lui répondra du tac au tac que sa banque a en réalité agi comme un véritable aspirateur estimant que si c'était le cas, « Abdelmoumen n'aurait jamais pris la fuite. Causant la ruine de sa banque ». « En termes de dépôts à terme (DAT), explique-t-il, il y a eu 56,7 milliards de dinars du secteur public et 2,6 milliards de dinars du secteur privé, en plus des comptes courants qui étaient de l'ordre de 1,8 milliard de dinars. A fin 2003, le préjudice a atteint 1,5 milliard de dollars US, soit l'équivalent de 114 milliards de dinars. » C'est loin d'être l'avis de Khalifa Abdelmoumen qui, dans une interview accordée à Londres au magasine français VSD en mai 2006, se dit ne pas être un « multimilliardaire » et que, contrairement au prétendu train de vie « fastueux » et « excentrique » qu'on lui attribue, il vivait « normalement dans un appartement loué » et même devenu, circonstances obligent, le « roi des plats surgelés passés au micro-ondes ». A propos de la rente qui lui permettait de vivre à Londres, il se fait tout « modeste », déclarant posséder, à 27 ans, « 17 millions d'euros ». « J'ai toujours travaillé dans ma vie. J'ai eu mon bac à 16 ans, j'étais pharmacien à 21 ans. La vente d'une maison que je possédais en France et d'une autre en Algérie me permet de voir venir. Et j'ai des amis qui m'ont aidé financièrement. Je m'en sors avec 5000 euros par mois », répondait-il.