Enseignant-chercheur à l'université Paris XII, docteur d'Etat en sciences économiques de l'université de Franche-Comté et docteur en sciences de gestion de l'université Paris XII, Faouzi Bensebaâ évoque dans cet entretien le rôle et les enjeux de l'intelligence économique. Comment concevez-vous l'enjeu de l'Intelligence économique dans le contexte actuel ? La stratégie des firmes - mon thème de recherche majeur - et l'intelligence économique constituent des champs de réflexion très proches. En matière de stratégie, la connaissance de l'environnement par les entreprises est fondamentale (que cet environnement soit contraint ou construit). L'intelligence économique repose sur trois axes majeurs : veille stratégique, sécurisation de l'information et actions d'influence. Les deux champs ont ainsi au moins un point commun : la quête de la maîtrise de l'environnement. Dès lors, le passage de la stratégie à l'intelligence économique a été presque naturel pour moi. En outre, l'intelligence économique est un champ qui nécessite la compréhension de la stratégie, des technologies de l'information, du droit, de l'éthique, de la géopolitique et de l'économie. Quel est le rôle des pouvoirs publics en matière d'intelligence économique ? Quelles sont les structures qui doivent exister et quel doit être leur mission auprès des entreprises ? Les pouvoirs publics doivent permettre, au moyen d'un dispositif réglementaire, la collecte de l'information nécessaire à la prise des décisions dans les domaines économiques, technologiques et écologiques. L'information doit conduire également au développement économique et au progrès technologique. Les pouvoirs publics doivent dans ce contexte protéger les positions des entreprises nationales, tant publiques que privées, leurs secrets technologiques et commerciaux, contre toute forme de criminalité internationale, l'espionnage industriel et la concurrence déloyale. En matière de structures devant exister, il est possible de jouer sur des formes institutionnelles conjuguant centralisation et décentralisation, à savoir une démarche globale d'intelligence économique confiée à un responsable de haut niveau, et une décentralisation fondée sur un rôle accru dévolu à des instances locales, comme les chambres de commerce par exemple, ou toute autre structure. Les structures doivent également protéger, notamment dans les économies ouvertes, les entreprises vulnérables contre les prédateurs, certains fonds d'investissements par exemple. Les pouvoirs publics doivent sensibiliser les entreprises à l'intelligence économique et à la protection de leur patrimoine, notamment lorsque les intérêts des firmes se confondent avec ceux de la collectivité. Ils doivent également les défendre contre les intrusions dans leurs systèmes d'information et contre les actions visant à influencer d'une manière défavorable leurs activités. Y- a-t-il une distinction entre l'espionnage industriel ou économique et l'intelligence économique ? Bien entendu. Les méthodes "d'espionnage" sont rejetées par l'intelligence économique. Celle-ci opère dans un cadre légal et déontologique. La culture, les méthodes, l'approche et la notion de risque n'ont absolument rien à voir avec les méthodes de l'espionnage et du renseignement. L'intelligence économique se limite-t-elle au renseignement économique et à la sécurité ? Pour l'essentiel, trois axes majeurs constituent l'intelligence économique : veille stratégique avec ses multiples déclinaisons, sécurisation de l'information et les actions d'influence. Le dernier axe, de nature davantage offensive, peut heurter, s'il n'est pas bien maîtrisé, les canons en vigueur en matière d'éthique. Quels sont les liens entre intelligence économique et le management de la connaissance ? L'économie est d'une manière croissante une économie de la connaissance et les entreprises sont dans ce cadre des institutions générant et mettant en oeuvre la connaissance. L'intelligence économique conduit à identifier les voies de la production de la connaissance - tacite et explicite -, de son internalisation dans l'entreprise et de sa protection. Et le lobbying dans tout ça ? Il y a le lobbying de type anglo-saxon, qui est reconnu et a pignon sur rue. Il y a un second type de lobbying, non reconnu, informel, mais qui peut être tout autant efficace que le premier. Le lobbying a des liens de proximité avec l'intelligence économique par le fait que dans les domaines, il y a le souci d'agir bien en amont dans un sens favorable aux acteurs qui les mobilisent : lois, réglementations, directives (le cas par exemple de la directive européenne Reach relative à l'information sur les produits chimiques illustre cette démarche). Quels types d'entreprises peuvent être particulièrement intéressées par ces différents enjeux ? Toutes les entreprises opérant dans un environnement concurrentiel national ou international. La taille n'est pas toujours un critère fondamental. En France, par exemple, une PME spécialisée dans les cartes à puces a été rachetée par un fonds d'investissement appartenant à la CIA. Tous les types d'activité doivent-ils être concernés ? Ce sont les activités phares qui sont concernées au premier chef. En Algérie, les ressources énergétiques sont le secteur phare par excellence. La notion d'activité phare est cependant liée à la spécificité du pays. Un pays comme l'Algérie doit-il se doter de pôles de compétitivité ? Un pôle de compétitivité consiste à rapprocher entreprises et institutions publiques dans le cadre de regroupements (clusters) clairement définis. Les objectifs de ces pôles sont multiples : permettre à l'économie du pays de créer et/ou de renforcer son potentiel compétitif, favoriser le dialogue entre plusieurs acteurs pour développer l'innovation, nécessairement collective aujourd'hui, parce qu'elle est complexe et incertaine, protéger et soutenir les petites entreprises, développer des territoires "d'excellence". Les exemples de ces pôles sont nombreux dans le monde. Et en définissant ces pôles, on définit ce qui est stratégique pour l'économie du pays. L'intelligence économique doit-elle être enseignée dans les universités par exemple ? Quel rôle jouent à ce titre les instituts, les conférences, les séminaires ? Il est important de structurer l'enseignement de l'intelligence économique dans le cadre des universités sous forme par exemple de masters professionnels, tout en ayant une politique volontariste de développement de débouchés. L'enseignement doit être assuré des enseignants-chercheurs de haut niveau et des praticiens, susceptibles d'apporter un éclairage concret à la thématique. Le rôle des instituts, des conférences et des séminaires est loin d'être négligeable. Ce rôle ne consiste pas à vulgariser l'intelligence économique, mais à souligner la place qu'elle doit avoir dans l'économie d'aujourd'hui, en ciblant un maximum de décideurs. Il s'agit à cet égard d'organiser des manifestations sur des sujets pointus comme la mise en place d'infrastructures techniques ou sur des sujets plus globaux relatifs à l'organisation et la stratégie. Vous êtes invité par VIP Groupe pour animer les 26 au 28 mai à Alger un séminaire de trois jours. Quel sera votre message aux participants ? La démarche repose sur la transmission de connaissances conceptuelles (conduisant à la maîtrise analytique des phénomènes à observer) et de pratiques telles qu'on peut les repérer dans différents domaines. Je dis souvent aux étudiants ou aux participants aux séminaires que la chose essentielle à acquérir, c'est la paranoïa intelligente.